Les 8 « quand »

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En parallèle aux 8 « mais » pour ne pas se mettre à l’action évoqués par le Mouvement des Villes en Transition (voir un précédent article), j’avais envie d’explorer un autre pan de nos comportements. Ceux liés à l’information et la communication. Comment agissons-nous face à une information? Comment l’intégrons-nous comme vraie ou fausse? Prenons-nous le temps de la critiquer, de la vérifier? ou la gardons-nous brute? Qui nous l’a transmise et comment? Est-ce que cela impacte ou non notre jugement sur l’information en elle-même? Comment ensuite elle nous affecte? Qu’en faisons-nous? Est-elle une arme que l’on utilise à notre tour, un bouclier derrière lequel se cacher? Arrivons-nous franchement à faire la part des choses? Sommes-nous conscient·e de tout cela?

J’adore cette phrase de Bernard Werber sur la communication : « Entre ce que je pense, ce que je veux dire, ce que je crois dire, ce que je dis, ce que vous voulez entendre, ce que vous entendez, ce que vous croyez en comprendre, ce que vous voulez comprendre, et ce que vous comprenez, il y a au moins neuf possibilités de ne pas se comprendre. » Nous avons tou·te·s des exemples qui viennent illustrer cette phrase tant du point de vue de l’émetteur d’une information que du point de vue du récepteur.

Nous nous sommes tou·te·s dit au moins une fois dans notre vie que si nous avions mieux communiqué, cela aurait été plus facile, plus rapide, plus pratique. A l’inverse, nous avons également vécu une situation où par défaut de communication, parce que l’adversaire avait gardé une partie rien que pour lui, nous nous sommes retrouvé·e·s piégé·e·s. Mais alors pourquoi avons-nous tant de mal à communiquer? Qu’est-ce qui nous bloque? nous paralyse parfois? Pour quelle(s) raison(s) n’entendons-nous pas la totalité du message ? Pourquoi utilisons-nous l’information à notre avantage ?

Depuis des années, voire des décennies, l’information est devenue une expression du pouvoir : qui la détient? qui l’utilise? à quelle(s) fin(s)? Quand une information surgit-elle? Est-elle vérifiable? véridique? authentifiable? authentique? Pourquoi sorte-t-elle à tel moment? Quel(s) intérêt(s) sert-elle? Des théories du complot aux mystères de la vie, des infox aux simples problèmes de communication, des biais cognitifs aux incompréhensions interculturelles, comment faire, comment s’outiller.

Une série de 8 « quand » pour réfléchir avant d’agir, pour trouver l’économie des mots justes, utiles, pour cheminer à la recherche de la vérité :

  • Quand chacun·e donne son avis
  • Quand tu partages plus vite que ton ombre
  • Quand l’infobésité nous submerge
  • Quand certain·e s’improvise journaliste
  • Quand le doute est aux abonnés absents
  • Quand les biais cognitifs font leur propre loi
  • Quand l’énergie est au service de la haine
  • Quand il serait plus sage de se taire

 Êtes-vous prêt·e ? Car après cette lecture, vous risquez de ne plus voir les choses comme avant !

« Quand chacun·e donne son avis »

L’égo a besoin d’exister et pour cela il s’exprime. Quelquefois à tort et à travers. Quelques fois sous le coup de la colère, de la passion, de l’énervement. Il est difficile de ne pas avoir un conseil, une opinion, un avis à donner, de ne pas réagir à l’information qui vient d’arriver, de vouloir dire ce que l’on en pense. Que l’on soit expert·e en la matière ou novice, que nous ayons du vécu, des points de comparaison à apporter ou pas, que nous ayons lu, entendu des informations similaires, plus ou moins proches, cela tente quand même de dire, de commenter.

Une des choses sur lequel il est important d’être d’accord c’est la différence entre une opinion et un fait. Car ce sont bien deux choses totalement différentes, l’une tente à être la plus objective possible, l’autre est la plus subjective par nature.

A partir du moment où nous commençons une phrase par « j’ai la conviction que… », « je crois que… », « mon point de vue sur le sujet est… », « je suis persuadé que… », nous sommes d’accord qu’il s’agit une opinion. Sans remettre en question si elle est légitime ou non, si elle est fondée ou pas, elle existe inévitablement. Cela se nourrit de notre histoire, de notre expérience, cela s’ancre dans notre culture, dans notre rapport au monde, la manière dont nous le regardons, la façon dont nous avons été éduqué·e. Cela puise dans nos croyances, nos valeurs, notre rationalité et varie inévitablement d’une personne à l’autre.

Un fait est une chose observable, un constat, un événement qui s’est produit. Il a été vérifié, prouvé, généralement par plusieurs personnes. Il fait consensus pour un groupe d’experts, s’appuyant sur un ensemble d’analyses. Il est incontestable et certain. Bien entendu, un fait peut être amené à évoluer dans le temps en tenant compte de l’état des connaissances scientifiques.

Il nous arrive souvent d’interpréter les faits sans même nous en rendre compte. Le plus délicat est de le reconnaître, d’être vigilant et de se mettre des garde-fous pour ne pas tomber dans le préjugé, dans l’amalgame. Parfois cela arrive sciemment et les faits se tordent dans tous les sens, ils sont arrangés à toutes les sauces et, suivant les mains entre lesquelles ils tombent, peuvent dire une chose et son contraire.

Il est certes normal d’exprimer ses sentiments, ses ressentis, ses émotions, de donner son avis, un conseil, un retour, de partager ce dont nous avons besoin, ce que nous attendons des autres. Il est important de le faire et d’affirmer ses droits. Il est déjà plus compliqué de respecter que les autres fassent de même et leur droit à faire de même. Il est une autre étape que d’inviter les autres à le faire, d’ouvrir des espaces où la communication peut se faire, sereinement, avec bienveillance.

De l’assertivité à la serviabilité, de la complaisance à l’agressivité, il n’y a parfois qu’un pas. Il ne sert à rien de se retrancher derrière la liberté d’expression pour pouvoir tout dire et déverser des propos fallacieux, des messages incitant à la haine. Il est nécessaire de trouver la voie du milieu :

  • S’exprimer quand cela est nécessaire, avec intention.
  • Parler en “je”, plutôt qu’en utilisant “on”, “tout le monde”.
  • Écouter avec attention, activement, poser des questions si cela le mérite, ne pas rester dans le flou, demander à l’interlocuteur·trice de reformuler pour mieux la/le comprendre.
  • Débattre quand cela est utile, sans vouloir forcément gagner, ni convaincre mais déjà être entendu·e et que son opinion soit respectée.
  • Être bienveillance envers soi-même, prendre du temps et de la distance si besoin pour appréhender au mieux ce que la situation provoque en soi.
  • Tourner 7 fois sa langue avant de parler ou 7 fois son pouce avant d’écrire, histoire de ne pas réagir à chaud, sous le coup de la colère par exemple.
  • Ouvrir des espaces de discussion, en dehors des moments de conflits.
  • Utiliser des mots justes pour exprimer son besoin, son avis, son opinion, ses émotions, ses ressentis.
  • Inviter l’autre à en faire de même.
  • Et comme nous le verrons plus loin, vérifier les informations, réfléchir et douter, mettre l’énergie au bon endroit.

Sans prendre ces deux méthodes pour des solutions miracles, en venant puiser dans l’une ou l’autre pour améliorer sa manière de s’exprimer et sa relation aux autres, je vous invite à lire et vous renseigner sur les 4 accords toltèques et la Communication Non Violente.


« Quand tu partages plus vite que ton ombre »

L’information arrive. Elle trouve toujours un chemin pour se faufiler et un moyen de nous atteindre. Parfois à la vitesse de l’éclair. Parfois il faut des heures, des jours, des semaines, des mois pour qu’elle nous parvienne. Parfois encore elle n’arrive jamais, car il faut aller à sa recherche pour la trouver.

Une fois que nous l’avons, plusieurs options s’offre à nous : la lire, l’analyser, la commenter, la décortiquer, la relire, la partager, l’oublier, la déformer, l’amplifier, la vider de son sens, la documenter davantage, l’étayer, la faire sienne, l’utiliser et bien d’autres possibilités encore. Certains jours, il suffit que le titre nous séduise, que cela fasse écho à ce que nous pensons déjà pour la partager rapidement avant même de la lire complètement. Parfois c’est parce que nous avons toute confiance en la personne qui a publié l’information que nous nous empressons de la faire suivre sans plus de vigilance.

Pourtant c’est bien là qu’il faut faire rentrer un peu de pensée critique, qu’il est important de vérifier l’information qui nous arrive, de se questionner un minimum sur elle. Par quel canal nous a-t-elle atteint? Un message privé ou groupé, une chaîne d’information en continue ou un magazine spécialisé? Sous quelle forme? Un tweet, une infographie, un article de presse, une émission de radio? Par qui nous est-elle transmise? Connaissons-nous cette personne? Est-elle proche de nous, de confiance? Appartient-elle à notre endogroupe ou à un exogroupe? Estimons-nous cette personne comme experte sur le sujet? Comment l’information nous est partagée? Avec quel dessein? Pourquoi maintenant? Et pas à un autre moment? Sert-elle un intérêt? Un but? Est-elle utile? Pertinente? Nous apprend-elle quelque chose? Que vise-t-elle? Nous faire réagir, pleurer? Nous faire sortir de nos gonds, nous blesser?

Vérifier l’information, cela demande du temps. Et comme nous n’en avons généralement pas ou que cela n’est pas une priorité d’en prendre, les informations passent sans filtre préalable. En plus, il suffit d’un clic pour partager, pour retweeter. Tout est facilité pour que cela se diffuse, cela fasse le buzz.

Vérifier une information, cela demande de la méthode. Un décryptage en bonnes et dues formes. Commencez par là :

  • Synthétiser et expliciter : Est-il possible de résumer l’information en une seule phrase?
  • Étude du cadre : qu’est ce qui accompagne cette information?
    • Cadre médiatique : quand est-elle arrivée et au milieu de quelles autres informations associées?
    • Liens avec vos connaissances initiales : Cette information remet-elle en question ou confirme-t-elle des informations que vous connaissez déjà, c’est à dire que vous considérez comme fiable?
    • Cadre relationnel et personnel : Quel lien avez-vous avec l’auteur? y’-t-il du passif avec l’auteur? vous estimez-vous “expert·e” de ce sujet? comment l’auteur a validé lui-même cette information et cela m’influence-t-il?
    • Est-ce une information qui vous touche?
    • Cette information nécessite-t-elle de remettre en question des actes, des connaissances, des choix?
  • Étude de l’enjeu : qu’est-ce que cela change?
    • Qu’est-ce que cette information peut changer, et pour qui? et pour vous?
    • L’enjeu est-il “important”?
    • Pouvez-vous rester dans le doute? pouvez-vous suspendre votre jugement sur cette affirmation?
  • Étude de la source : d’où l’on parle?
    • Qui? quand? dans quel objectif? via quel média? qu’elle est la compétence de l’auteur sur le sujet abordé?
    • Peut-on recouper cette information?
  • Étude de la forme : comment on parle?
    • Quel format de communication cette information utilise-t-elle?
    • Quelles précautions faut-il prendre face à un tel format de communication?
  • Étude du fond, du propos : qu’est ce qui est dit?
    • Quels sens ont les mots utilisés?
    • Quels mots de vocabulaire “clés”? quelles sont leurs définitions? ont-ils du sens ici?
    • Quelles preuves? les références, les preuves citées sont-elles valides ou non ? comment les juger, par quels moyens?
    • Quels raisonnements? quels sont les raisonnements utilisés ici? y’va-t-il un faux raisonnement? une erreur de logique?
    • Y’a-t-il un biais cognitif connu?
  • Conclusion : certitude? doute? suspension du jugement? Dois-je me renseigner plus sur cette information?

Vérifier l’information, cela demande un effort. Recopier le texte dans un moteur de recherche, aller sur des sites spécialisés pour vérifier l’information, analyser les résultats, passer d’un document à l’autre, croiser les sources. Pour vous faciliter la chose, voici quelques sites vérifier les informations :
https://factuel.afp.com/
https://www.francetvinfo.fr/vrai-ou-fake/
https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/
https://www.liberation.fr/checknews
https://www.20minutes.fr/societe/desintox/
https://observers.france24.com/fr/

https://www.hoaxbuster.com/
https://www.repondreauxprejuges.com/

En prime un lien pour vérifier les images : https://tineye.com/
Et un pour vérifier quand a été mis en ligne une vidéo sur YouTube : https://citizenevidence.amnestyusa.org/

Ce qui est sûr c’est que cet effort, ce temps pris avant de partager est précieux et peut permettre de briser des chaînes de désinformation, de haine, de ne pas vous faire passer pour un•e complotiste, un•e extrémiste, une personne que vous n’êtes pas.

« Quand l’infobésité nous submerge »

Le flux d’informations qui circulent ne cesse d’augmenter. Toujours plus, entre la télévision, internet, les réseaux sociaux, les applications mobiles, la radio, les journaux et les magazines, les ami•e•s, les collègues, les voisin•e•s, les client•e•s, les panneaux d’affichage. Il y a de quoi en perdre parfois la tête, surtout lorsque cela se contredit, qu’il y a des voix dissonantes, que nous assistons à des débats stériles qui ne servent qu’à faire du bruit et non à produire de la connaissance.

Toujours plus et à tout moment. Difficile de ne pas être atteint•e, de s’extraire, de garder une distance. Nous « souffrons » de ne pas avoir (ou de ne pas prendre) une seconde hors flux. Nous nous hyperconnectons, avec nos ordinateurs, nos tablettes, nos téléphones portables, nos objets connectés, devenant ainsi toujours joignable, toujours disponible. Nous n’osons parfois plus être en dehors du flux de peur de ne pas avoir l’information au bon moment, de ne pas pouvoir réagir instantanément.

Certaines personnes prennent la décision de se débrancher, d’éteindre après une certaine heure, de mettre sur silencieux. Certaines personnes font le choix de résider dans une zone blanche, où certaines ondes ne passent pas, ne supportant pas les ondes, ne voulant pas les subir. Lorsque j’éteins mon téléphone en allant me coucher, je me dis que la mauvaise nouvelle pourra attendre, qu’elle entraînera suffisamment de mauvaises nuits pour ne pas gâcher celle-là. Je me souviens d’échange avec des ami•e•s qui n’étaient pas content•e•s d’avoir reçu par mon SMS à 7h du matin, au moment où je pensais à elles•eux. Mais alors, si vous ne voulez pas être dérangé•e, ne faudrait-il mieux pas tout éteindre?

Bip, une info vient de tomber sur la montre. Un gazouillis, une nouvelle publication sur le téléphone. Bip encore, une notification vient de tomber sur Facebook. Depuis que vous êtes allés déjeuner, quinze nouveaux courriels dans votre messagerie. Est-ce vraiment cela que nous voulons pour nous même, pour notre cerveau, pour notre cœur? Est-ce à flux tendu que nous pouvons répondre sereinement, avec discernement? Nos interlocuteurs•trices attendent-ils•elles un retour à la seconde? Et de leur côté, combien de temps prennent-ils•elles là nous répondre? Entre urgence et importance, comment faire la part des choses?

L’information en continue a créé une forme de dépendance à l’information. Car si nous partons, nous allons rater le scoop. Car il va forcément se passer quelque chose quand nous ne serons pas là devant notre écran. Toujours plus, à tout moment, dans toutes les langues. Cela génère une telle densité, une telle quantité qu’il est même complexe de tout recevoir. Cognitivement parlant, cela nous submerge, nous bouleverse. Cela peut créer peur et angoisse. En ce moment de pandémie, nous en avons l’exemple : le décompte du nombre de morts, les spécialistes qui s’enchaînent sur les plateaux pour donner leur point de vue, les prises de paroles des élu•e•s.

Maintenant, ne jetons pas la faute exclusivement sur ces médias ou sur ces outils. Pour que des chaînes d’information en continue existent il faut qu’il y ait des téléspectateurs•trices. Pour qu’il y ait des personnes payées à modérer et effacer sur les réseaux sociaux du contenus violents, pédopornographiques, racistes, sexistes, LGPTQIA-ophobe, il faut qu’il y ait des personnes qui mettent en ligne ce genre de contenus. Internet n’est ni blanche, ni noire. Elle parcourt tout le spectre des couleurs : de la mise en lien, de l’hypertexte, une information en appelant une autre, la puissance de ce maillage, l’encyclopédie, l’accès à des données jusqu’à présent inaccessibles, la puissance des connexions, le piratage, les lanceurs•euses d’alerte, le fait de se relier d’un bout à l’autre de notre planète. L’outil en lui-même est neutre. C’est l’utilisation que nous faisons de ces outils qui est déterminant : si nous voulons nuire ou faire le bien, si nous souhaitons nous indigner ou convaincre, si nous voulons râler ou jeter la faute sur quelqu’un•e.

Finalement, je pourrais résumer simplement par : trop d’infos tue l’info. Mais il faut avoir en tête les répercussions que la surcharge informationnelle peut engendrer :

  • Un désengagement
  • Une saturation
  • Un déficit d’attention
  • Une addiction
  • Une anxiété
  • Une perte de mémoire
  • Une difficulté à prendre des décisions
  • Une baisse de qualité de notre jugement
  • Un manque de créativité
  • Des troubles relationnelles et dysfonctionnelles

Pour illustrer la densité d’informations qui circulent, voilà un schéma (en anglais) qui nous donne “ce qui se passe sur internet en 1 minutes


« Quand certain·e s’improvise journaliste »

Mener sa propre enquête, être la•le reporter d’un jour, donner sa propre version des faits, partager cela avec le monde entier, rien de plus facile aujourd’hui. Les informations circulent, les données sont là, à portée de clic. D’articles de blog en chaînes YouTube, de sites parallèles à ceux officiels, il est possible de récupérer des éléments, de les analyser, d’y trouver de la matière pour faire son propre reportage.

A la recherche également de la popularité, du nombre de « like », à vouloir faire le buzz, il est parfois utile de faire du sensationnel, du choc, quitte à omettre certaines choses, à faire quelques raccourcis. L’enchaînement de “preuves” en cascade, le montage vidéo avec quelques effets spéciaux bien placés, les titres racoleurs pour attirer le chaland, les liens de cause à effet tronqués, ici s’emmêlent les enjeux liés à l’information (et une recherche des faits, de la vérité) et à la communication (et l’habillage de cette information, l’utilisation, l’usage et l’impact de celle-ci).

Donner son avis, son opinion sur les informations que nous recevons est une chose. Comme nous l’avons vu plus haut, il est parfois prudent de prendre du recul, de se laisser du temps et ne pas réagir à chaud. Là, il est plus question de prendre part à la fabrication de l’information, de construire de la connaissance et d’apporter sa pierre à l’édifice pour une meilleure compréhension du monde. Une méthodologie est d’autant plus nécessaire pour aboutir à une analyse solide, élaborée, documentée, objective, irréfutable.

Cela renvoie à la pyramide de la preuve (cf schéma)

De la sagesse populaire à la rumeur, du témoignage rapporté à une anecdote personnelle, il n’est pour l’instant pas question d’avoir prouvé quoi que ce soit. C’est un ressenti, une expérience individuelle d’un événement, une compréhension subjective d’un fait, un morceau épars de la vérité (si vérité il y a). L’interprétation que nous faisons d’une information renvoie déjà à notre perception de celle-ci, à notre niveau de connaissance sur le sujet. Cela repose comme évoqué précédemment sur notre culture, nos valeurs, nos croyances mais renvoie également à l’état d’esprit dans lequel nous sommes quand nous la recevons. Nous avons tou•te•s vécu d’avoir partagé un évènement avec des ami•e•s, des membres de la famille et d’entendre quelques jours plus tard des versions différentes dans la description faite par chaque personne de ce même événement.

La parole donc d’un individu ne peut être prise comme une preuve et son expérience comme une fait universel, intemporel. Quand bien même cette parole appartient à un•e expert•e. Là se joue le niveau de connaissances de la personne, sa maîtrise du sujet, son érudition;  également sa reconnaissance au niveau de ses pairs, des médias, du grand public. Pour faire court, ce n’est pas parce que nous sommes reconnu•e comme expert•e, ce n’est pas parce que nous avons des milliers de followers qui croient en ce que nous disons (et qui seraient prêt•e•s pour certain•e•s à se battre en notre nom) que notre parole vaut plus qu’une autre.

Pour construire de la connaissance, pour établir un fait, il faut s’appuyer sur une méthode. La démarche scientifique est la méthode utilisée par les scientifiques pour parvenir à comprendre et à expliquer le monde qui nous entoure. De façon simplificatrice, elle se déroule en plusieurs étapes : à partir de l’observation d’un phénomène et de la formulation d’une problématique, différentes hypothèses vont être émises, testées puis infirmées ou confirmées ; à partir de cette confirmation se construit un modèle ou théorie. L’observation et l’expérimentation sont des moyens pour tester les différentes hypothèses émises.

Entre “j’ai lu une étude qui dit que…” à “plusieurs équipes de chercheur•e•s ont prouvé que…”, il y a déjà un niveau de preuve différent. L’étude implique une publication qui précise la méthode, les outils, tous les éléments pour pouvoir la reproduire et l’ensemble des résultats sur lesquels elle base ses conclusions. Cette publication permet entre autres le contrôle entre pairs, la validation par la communauté. En haut de la pyramide se trouve la méta-analyse c’est à dire l’analyse de toutes les analyses sur un sujet, qui englobent toutes les publications, études faites, qui excluent celles qui pourraient servir des intérêts partisans (financées par exemple par des groupes de pression, par des industriels, des entreprises pour qui les résultats auraient un impact sur leur activité).

Pour construire une information, la méthode est celle du journalisme d’enquête ou d’investigation. Il s’agit de la décortiquer, vérifier les sources, compiler le maximum de renseignements, regrouper des témoignages et des expertises, entrecouper tout cela, démontrer preuve à l’appui tout ce qui est avancé, chercher des avis contradictoires. Cela demande du temps, d’être rigoureux•euse, de ne pas se satisfaire d’une seule preuve; cela demande de l’énergie, une éthique. En fait, c’est un travail qui demande un certain nombre de compétences.

Voilà pourquoi je vous partage une partie de la charte éthique des journalistes (que vous pouvez retrouver ici : Charte d’éthique professionnelle des journalistes).

Le droit du public à une information de qualité, complète, libre, indépendante et pluraliste, rappelé dans la Déclaration des droits de l’homme et la Constitution française, guide la•le journaliste dans l’exercice de sa mission.
(…)
Le journalisme consiste à rechercher, vérifier, situer dans son contexte, hiérarchiser, mettre en forme, commenter et publier une information de qualité ; il ne peut se confondre avec la communication. Son exercice demande du temps et des moyens, quel que soit le support.
La notion d’urgence dans la diffusion d’une information ou d’exclusivité ne doit pas l’emporter sur le sérieux de l’enquête et la vérification des sources.
(…)
C’est dans ces conditions qu’un journaliste digne de ce nom :

  • Prend la responsabilité de toutes ses productions professionnelles, même anonymes ;
  • Respecte la dignité des personnes et la présomption d’innocence ;
  • Tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles ;
  • Exerce la plus grande vigilance avant de diffuser des informations d’où qu’elles viennent ;
  • Dispose d’un droit de suite, qui est aussi un devoir, sur les informations qu’il diffuse et fait en sorte de rectifier rapidement toute information diffusée qui se révèlerait inexacte ;
  • N’accepte en matière de déontologie et d’honneur professionnel que la juridiction de ses pairs ; répond devant la justice des délits prévus par la loi ;
  • Défend la liberté d’expression, d’opinion, de l’information, du commentaire et de la critique ;
  • Proscrit tout moyen déloyal et vénal pour obtenir une information. Dans le cas où sa sécurité, celle de ses sources ou la gravité des faits l’obligent à taire sa qualité de journaliste, il prévient sa hiérarchie et en donne dès que possible explication au public ;
  • Ne touche pas d’argent dans un service public, une institution ou une entreprise privée où sa qualité de journaliste, ses influences, ses relations seraient susceptibles d’être exploitées ;
  • N’use pas de la liberté de la presse dans une intention intéressée ;
  • Refuse et combat, comme contraire à son éthique professionnelle, toute confusion entre journalisme et communication ;
  • Cite les confrères dont il utilise le travail, ne commet aucun plagiat ;
  • Ne sollicite pas la place d’un confrère en offrant de travailler à des conditions inférieures ;
  • Garde le secret professionnel et protège les sources de ses informations ;
  • Ne confond pas son rôle avec celui du policier ou du juge.

Je trouve cela éclairant et j’espère que cela ramènera certaines personnes à la prudence, à la vigilance avant de publier leur opinion, leur avis en prétendant détenir des faits. Il y a une sacrée différence entre construire une connaissance, un savoir, établir un fait, apporter une preuve et avoir l’illusion de percer un secret, tirer des conclusions hâtives, prétendre détenir la vérité. Par ailleurs, passer sur une chaîne d’information en continue ou être interviewé•e par un média fait de vous un•e témoin mais pas forcément un expert•e.

 

« Quand le doute est aux abonnés absents »

Qui croire? Qui dit la vérité? Qui la détourne? Pourquoi tel sujet est mis dans la lumière plutôt qu’un autre? Pourquoi je reçois cette information à ce moment-là ? Pourquoi un·e ami me l’envoie? Comment être critique? Comment établir des garde-fous? Devons-nous douter plus souvent? Sommes-nous manipulé•e, influencé•e, maître•sse de notre vie, de nos choix? Avons-nous à subir ces informations sans rien dire?

Sur les réseaux sociaux, nous nous retrouvons facilement entouré·e de personnes qui pensent comme nous. Tel une chambre d’écho, les informations qui nous viennent correspondent déjà à ce que nous pensons. Difficile donc d’être critique, de les mettre en perspective. Difficile de se dire que la personne (membres de sa propre famille, ami•e•s) en qui nous avons confiance nous envoie une fausse information.

Pourtant, il est essentiel d’y insérer une part de doute, de gratouiller un peu la surface, de creuser davantage.

La pensée critique est une notion utilisée en philosophie et en pédagogie pour désigner à la fois :

  • L’esprit critique – attitude intellectuelle qui consiste à n’accepter pour vraie ou réelle aucune affirmation ou information sans l’examiner attentivement au moyen de la raison, sans se documenter à son sujet et sans la soumettre à l’épreuve de la démonstration. C’est une forme de doute méthodique qui refuse tous les amalgames simplistes, toute généralisation hâtive, toute idée reçue, toutes les certitudes engendrées par des croyances ou des énoncés sans preuve.
  • La capacité intellectuelle qui permet de raisonner correctement, de tirer des conclusions qui ne soient pas prématurées, mais réfléchies et étayées par des arguments et la maîtrise des outils d’analyse critique.

Elle apporte une autonomie intellectuelle et une aptitude à prendre des décisions qui ne soient pas entachées de biais cognitifs (voir dans le prochain “quand”).

Pour vous donner quelques repères et vous aider à les reconnaître, voici une liste non exhaustive d’arguments fallacieux :

  • Erreurs logiques
    • La généralisation abusive : Prendre un échantillon trop petit et en tirer une conclusion générale.
    • Le raisonnement panglossien : Raisonner à rebours, vers une cause possible parmi d’autres, vers un scénario préconçu ou vers la position que l’on souhaite prouver.
    • Le Non sequitur (« qui ne suit pas les prémisses ») : Tirer une conclusion ne suivant pas logiquement les prémisses.
      Deux types d’argumentaires :
      Si A est vraie, alors B est vraie. Or, B est vraie, donc A est vraie.
      Si A est vraie, alors B est vraie. Or A est fausse, donc B est fausse.
      Attention : la conclusion peut être finalement juste, mais le raisonnement est faux.
    • L’analogie douteuse : Discréditer une situation en utilisant une situation de référence lui ressemblant de manière lointaine.
    • L’appel à l’ignorance (ou argumentum ad ignorantiam): Prétendre que quelque chose est vrai seulement parce qu’il n’a pas été démontré que c’était faux, ou que c’est faux parce qu’il n’a pas été démontré que c’était vrai.
    • L’erreur de causalité : Confondre conséquence et postériorité. B est arrivé après A donc B a été causée par A. Après cela, donc à cause de cela.
  • Travestissements
    • Le raisonnement circulaire : Affirmer quelque chose en basant sa proposition sur un fait qui n’a pas été prouvé (pétition de principe) ou interroger en incluant des présupposés non acceptés par l’interlocuteur (plurium interrogationum).
    • Le faux dilemme : Réduire abusivement le problème à deux choix pour conduire à une conclusion forcée. Invalider l’un pour valider l’autre n’est possible que si les deux choix sont non seulement compétitifs, mais contradictoires.
    • La technique du chiffon rouge (ou hareng fumé): Déplacer le débat vers une position intenable par l’interlocuteur.
    • L’argument d’autorité (ou argumentum ad verecundiam) : Invoquer une personnalité faisant ou semblant faire autorité dans le domaine concerné.
    • L’appel au peuple (ou argumentum ad populum) : Invoquer le grand nombre de personnes qui adhèrent à une idée, sa popularité.
    • L’appel à la pitié (ou argumentum ad misericordiam) : Plaider des circonstances atténuantes ou particulières qui suscitent de la sympathie ou de la solidarité et donc cherchent à endormir les critères d’évaluation de l’interlocuteur.
    • L’appel à une cause : Projeter des attentes ou volontés sur une entité fictive qui soutient l’argumentation sans que l’opinion de celle-ci ne puisse être consultée, comme la Patrie, Dieu, la Planète, les enfants, la survie de l’espèce,…
    • La valeur phare : Miser sur un aspect particulier qui serait intrinsèquement positif :  le naturel, la nouveauté, l’ancienneté, la tradition, l’exotisme,…
    • L’imposture intellectuelle : Importer des termes techniques ou scientifiques inappropriés dans un autre champ, sans que le discours ne soit éclairé par l’emprunt pour se donner un vernis de crédibilité.
  • Attaques
    • L’enfumage : Utiliser des termes compliqués ou des faits méconnus pour que l’interlocuteur ne les comprenne pas, en espérant qu’il n’osera pas questionner pour ne pas passer pour un inculte.
    • Le tsunami péremptoire : Submerger l’interlocuteur de conclusions ou de questions pour ne pas lui laisser le temps de répondre ou donner l’impression d’être plus convaincant, alors qu’aucun argument n’a été exposé.
    • Le mille-feuille argumentatif : Empiler un foisonnement d’arguments faibles dans un maillage si serré qu’ils se renforcent réciproquement sans qu’on puisse les confronter entre eux.
    • Le déshonneur par association : Comparer l’interlocuteur ou ses positions à une situation ou à un personnage servant de repoussoir.
    • La pente savonneuse : Faire croire que si on adopte la position de l’interlocuteur, les pires conséquences, les pires menaces sont à craindre.
    • L’épouvantail (dite aussi de l’homme de paille) : Travestir la position de l’interlocuteur en une autre, plus facile à réfuter ou à ridiculiser.
      :
    • Le renversement de la charge de la preuve : Demander à l’interlocuteur de prouver que ce qu’on avance est faux.
    • Ad hominem : Jeter le discrédit sur une personne en raison de choses qu’elle a faites ou dites par le passé, en révélant une incohérence de ses actes ou propositions antérieures avec les arguments qu’elle défend.
    • L’attaque sur la personne (argumentum ad personam) : Attaquer la personne sur sa moralité, son caractère, sa nationalité, sa religion… et non ses arguments. Sous-entendre ainsi qu’il y ait un lien personnel entre l’argumentation et la personne qui la défend.
    • L’attaque sur la forme : Relever une moisissure argumentative ou une faute de grammaire plutôt que d’argumenter avec de nouveaux arguments. La critique n’est pas suffisante, mais si elle est nécessaire.

Il est important de “s’armer”, d’avoir des outils d’autodéfense intellectuelle pour détecter ce qui cloche, pour ne pas se faire avoir, pour comprendre comment est construit l’argumentaire de la personne en face de soi et pouvoir contre-argumenter. La Zététique est un art, celui du doute. Et comme tout art, pour devenir un artiste, il est nécessaire de s’exercer, presque quotidiennement. (Cf schéma esprit critique)  


« Quand les biais cognitifs font leur propre loi »

Un biais cognitif est une forme de pensée qui met en œuvre de manière systématique des distorsions dans le traitement de l’information. Il correspond à une sorte de court-circuit mental qui assure un traitement immédiat des informations internes (notre mémoire) ou externes (notre environnement) dont nous disposons à un moment donné pour faire le plus rapidement possible une analyse de la situation qui soit cohérente avec notre vision du monde. Notre cerveau interprète notre environnement en le simplifiant et forme des stéréotypes, des préjugés, des croyances, des catégorisations qui servent à ordonner le monde qui nous entoure.

Les biais cognitifs qui sont, en général, inconscients peuvent conduire à des erreurs de perception, de raisonnements, d’évaluation, d’interprétation logique, de jugement, d’attention, à des comportements ou à des décisions inadaptées. Ils font l’objet de nombreuses recherches dans les sciences cognitives, psychologie cognitive et psychologie sociale notamment. Ces études ont permis d’identifier plusieurs dizaines de biais cognitifs dans de nombreux domaines : mémorisation, perception, statistiques, logique, causalité, relations sociales.

Les biais cognitifs sont largement exploités dans certaines activités humaines pour doper les ventes, séduire voire tromper les clients ou ceux à qui elles s’adressent :

  • La publicité pour faire passer plus facilement les messages,
  • Les sociétés de jeux de hasard qui profitent des biais liés à la méconnaissance des lois statistiques,
  • Les médias pour attirer l’attention et rendre important ce qui ne l’est pas nécessairement,
  • La politique pour accroître l’efficacité des discours.

Certains de ces biais trouvent leur origine dans la préhistoire de l’humanité où ces raccourcis dans le traitement de l’information se révélaient efficaces pour la survie de l’homme dans le milieu naturel. Transportés jusqu’à nous par l’évolution humaine, ils se montrent souvent inadaptés au monde artificiel contemporain. (Précédents paragraphes copiés du site http://www.toupie.org/Biais/index.html)

Voici quelques biais parmi plus de 200 qui ont un lien avec le traitement de l’information :

  • Le biais de confirmation est la tendance, très commune, à ne rechercher et ne prendre en considération que les informations qui confirment les croyances et à ignorer ou discréditer celles qui les contredisent.
  • Le biais de croyance se produit quand le jugement sur la logique d’un argument est biaisé par la croyance en la vérité ou la fausseté de la conclusion. Ainsi, des erreurs de logique seront ignorées si la conclusion correspond aux croyances.
  • Le biais rétrospectif est la tendance à surestimer, une fois un événement survenu, comment on le jugeait prévisible ou probable.
  • L’illusion de corrélation consiste à percevoir une relation entre deux événements non reliés ou encore à exagérer une relation qui est faible en réalité.
  • Le biais de cadrage est la tendance à être influencé par la manière dont un problème est présenté.
  • Le biais d’ancrage est la tendance à utiliser indûment une information comme référence. Il s’agit généralement du premier élément d’information acquis sur le sujet. Ce biais peut intervenir, par exemple, dans les négociations, les soldes des magasins ou les menus de restaurants.
  • Le biais de représentativité est un raccourci mental qui consiste à porter un jugement à partir de quelques éléments qui ne sont pas nécessairement représentatifs.
  • Le biais de faux consensus est la tendance à croire que les autres sont d’accord avec nous plus qu’ils ne le sont réellement. Ce biais peut être particulièrement présent dans des groupes fermés dans lesquels les membres rencontrent rarement des gens qui divergent d’opinions et qui ont des préférences et des valeurs différentes. Ainsi, des groupes politiques ou religieux peuvent avoir l’impression d’avoir un plus grand soutien qu’ils ne l’ont en réalité.
  • La croyance en un monde juste est la tendance à croire que le monde est juste et que les gens méritent ce qui leur arrive.
  • L’illusion de savoir consiste à se fier à des croyances erronées pour appréhender une réalité et à ne pas chercher à recueillir d’autres informations. La situation est jugée à tort comme étant similaire à d’autres situations connues et la personne réagit de la façon habituelle.
  • Le biais de conformisme est la tendance à penser et agir comme les autres le font.
  • L’effet boomerang est le phénomène selon lequel les tentatives de persuasion ont l’effet inverse de celui attendu. Les croyances initiales sont renforcées face à des preuves pourtant contradictoires.

Connaître l’existence de ces biais cognitifs est une chose. Avoir conscience que notre cerveau a tendance à prendre ses raccourcis en est une autre. S’entraîner pour ne pas tomber dans leur piège encore une. Inviter ses interlocuteurs·trices à en faire de même, cela relève presque du challenge.

http://amaninthearena.com/biais-cognitifs/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Biais_cognitif
https://www.penser-critique.be/wp-content/uploads/2018/02/codex-biais-cognitifs.pdf

 

« Quand l’énergie est au service de la haine »

Les réseaux sociaux deviennent un espace où tout peut être dit. L’anonymat rend possible les messages de colère et de haine sans commune mesure. Cela va des tweets assassins comme peut le partager Pablo Mira dans sa chronique du Quotidien à des messages sexistes, homophobes, racistes, haineux sur Facebook comme peuvent les “combattre” le groupe militant #jesuislà. Et que dire quand des politiques reprennent pour vrai des informations issues du site http://www.legorafi.fr/ ?

Encore une fois, à qui cela profite? pourquoi entretenir de tels propos racistes, sexistes, homophobes, xénophobes? Quel(s) intérêt(s) cela sert? Qu’est ce qui se joue à travers ces messages : des questions de classe sociales? des enjeux de pouvoir, de domination? des peurs? de l’ignorance? Comment éviter cette surenchère de violence et de haine?

Comme nous l’avons vu, la densité d’informations n’aide pas à avoir les idées claires. Avoir un avis, une opinion sur certains sujets est normal mais l’exprimer en vue d’apporter une critique constructive, de partager et construire un savoir n’est pas aisé. Déverrouiller notre esprit pour lever les voiles de nos propres biais cognitifs, nous outiller intellectuellement pour ne pas tomber dans les pièges est un défi quotidien.

Lorsque certaines personnes utilisent leur temps, leur énergie pour désinformer, pour attaquer d’autres personnes ou d’autres groupes, communautés, lorsqu’elles mettent en place une stratégie pour nuire à la réputation, pour faire du mal, pour blesser l’autre, un nouveau stade est franchi. Pour en arriver là, il faut que cela fasse écho à l’intérieur de ces personnes, que cela vienne nourrir des préjugés, une idéologie. L’information ainsi détournée permet de justifier la peur de l’autre, le fait qu’il faille le rejeter, l’exclure; cela vient alimenter la haine qui boucle sur elle-même.

Deux notions me semblent importantes à aborder pour comprendre les formes que cette haine peut prendre.

Le troll est un membre d’une communauté sociale en ligne qui essaie délibérément de perturber, d’attaquer, d’offenser ou de causer généralement des problèmes en publiant certains commentaires, photos, vidéos, GIF ou toute autre forme de contenu en ligne. Vous avez surement croisé le chemin d’un·e troll si vous avez un compte sur les réseaux sociaux. Mal intentionné·e, assoiffé·e par les théories en tout genre, utilisant aisément les insultes, la familiarité, le troll sévit d’autant plus si elle/il est assuré·e d’avoir une audience.

Il existe plusieurs catégories de trolls :

  • Le troll “débutant” poste tout et n’importe quoi, n’importe où sans véritable intention de nuire.
  • Le troll “bête” est persuadé d’avoir une opinion valable sur tout, d’être de bonne foi, et que sa diarrhée verbale intéresse quelqu’un d’autre que lui.
  • Le troll “méchant” est clairement guidé par de mauvaises intentions. Elle/il provoque pour faire déraper la discussion, soit pour le plaisir, parce qu’elle/il s’ennuie ou même sans aucune raison particulière.
  • Le troll “chasseur” réunit autour d’elle/de lui ses congénères pour délibérément pourrir la vie en ligne d’une victime qu’elles/ils auront choisie.
  • Le troll “concours d’éloquence” adore débattre et avoir le dernier mot. Elle/il peut prendre une information, documentée, basée sur des faits et l’aborder sous tous les angles pour la contester.
  • Le troll “correcteur” sautera sur l’occasion de corriger les fautes d’orthographe et de grammaire.
  • Le troll “hors sujet” va glisser dans une discussion des choses qui n’ont rien à y faire et tenter d’embarquer tout le monde sur cette piste glissante.
  • Le troll “aguicheur” ne se soucie pas vraiment de votre message ou de votre discussion mais va tout faire pour ramener les choses à elle/lui et inviter à venir consulter sa page, son lien.
  • Le troll “qui sait tout” n’a pas forcément l’habitude de débattre mais elle/il aime partager son point de vue et y ajouter des détails extrêmes, quitte à partager des rumeurs, des secrets.

D’ordinaire, un des premiers conseils face aux trolls est de ne pas les nourrir. Mais quand même parfois cela titille. Quand c’est un·e proche, il y a déjà à l’inviter à vérifier ce qu’elle/il dit, ce qu’elle/il partage, de le remettre à sa place de façon bienveillante. Quand il s’agit d’une personne plus éloignée, voire un·e inconnu·e, il est plus sage de ne pas vous retrouver seul·e. Pour cela, je vous invite vivement à rejoindre le groupe Facebook #jesuislà : https://www.facebook.com/groups/359820924602583/

https://fr.wikipedia.org/wiki/Troll_%28Internet%29
https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-internet/20151218.RUE1660/l-art-du-trolling-ou-comment-troller-les-trolls.html
https://www.youtube.com/watch?v=Wav6XoJ2scs
https://blog.hootsuite.com/fr/comment-gerer-les-trolls-sur-les-medias-sociaux/

Le cyber-harcèlement est défini comme « un acte agressif, intentionnel perpétré par un individu ou un groupe d’individus au moyen de formes de communication électroniques, de façon répétée à l’encontre d’une victime qui ne peut facilement se défendre seule ».

Il peut prendre plusieurs formes telles que :

  • Les intimidations, insultes, moqueries ou menaces en ligne
  • La propagation de rumeurs
  • Le piratage de comptes et l’usurpation d’identité digitale
  • La création d’un sujet de discussion, d’un groupe ou d’une page sur un réseau social à l’encontre d’un camarade de classe
  • La publication d’une photo ou d’une vidéo de la victime en mauvaise posture
  • Le sexting (c’est la contraction de « sex » et « texting ». On peut le définir comme « Des images produites par les jeunes (17 ans et moins) qui représentent d’autres jeunes et qui pourraient être utilisées dans le cadre de la pornographie infantile »

Le cyber-harcèlement est puni par la loi, au même titre que le harcèlement classique. L’article 222-33-2 du Code pénal de la législation française (modifié par l’article 2 de la loi numéro 2012-954 en date du 6 août 2012) stipule que « le fait de harceler autrui par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende. »

Cela passe à trois ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende lorsque les faits sont commis sur des personnes vulnérables physiquement ou psychologiquement, sur les mineurs de moins de quinze ans, les conjoint·e·s ou ex-conjoint·e·s, concubin·e·s ainsi que Pacsé·e·s, notamment lorsque l’agression est en rapport avec l’orientation sexuelle de la victime.

Alors si vous êtes victime de cyber-harcèlement, si parmi vos proches, vous connaissez une victime, notamment un·e mineur·e, vous savez maintenant qu’il faut agir.

https://www.nonauharcelement.education.gouv.fr/que-faire/quest-ce-que-le-cyberharcelement/
https://www.e-enfance.org/cyber-harcelement
https://www.cnil.fr/fr/reagir-en-cas-de-harcelement-en-ligne
http://lecyberharcelement.e-monsite.com/

Pour revenir à la communication, je voulais vous partager une histoire, celle des trois tamis de Socrate. Elle offre une approche simple et efficace pour se protéger d’une information néfaste.

Un jour, un homme vint trouver le philosophe Socrate et lui dit :
– Écoute, Socrate, il faut que je te raconte comment ton ami s’est conduit.
– Je t’arrête tout de suite, répondit Socrate. As-tu songé à passer ce que tu as à me dire au travers des trois tamis ?
Et comme l’homme le regardait rempli d’étonnement, l’homme sage ajouta :
– Oui, avant de parler, il faut toujours passer ce qu’on a à dire au travers des trois tamis.
Voyons un peu ! Le premier tamis est celui de la vérité. As-tu vérifié si tout ce que tu veux me raconter est vrai ?
– Non, je l’ai entendu raconter et…
– Bien, bien. Mais je suppose que tu l’as au moins fait passer au travers du deuxième tamis, qui est celui de la bonté. Ce que tu désires me raconter, si ce n’est pas tout à fait vrai, est-ce au moins quelque chose de bon ?
L’homme hésita puis répondit :
– Non, ce n’est malheureusement pas quelque chose de bon, au contraire…
– Hum ! dit le Sage, essayons de nous servir du troisième tamis, et voyons s’il est utile de me raconter ce que tu as envie de me dire…
– Utile ? Pas précisément…
– Alors, n’en parlons plus ! dit Socrate en souriant. Si ce que tu as à me dire n’est ni vrai, ni bon, ni utile, je préfère ne pas le savoir, et quant à toi, je te conseille de l’oublier…


« Quand il serait plus sage de se taire »

Reprenons.

Vivre c’est réfléchir, agir, faire des choix, des projets, être traversé·e par des émotions, avoir des besoins et le dire, être avec les autres, utiliser des savoirs, des connaissances, des compétences pour avancer, tomber et se relever, expérimenter et apprendre, partager et collaborer, communiquer et interagir. Vivre c’est danser, rire, faire seul ou à plusieurs, oser, s’affranchir, faire un premier pas puis un autre, se surprendre, rêver, co-construire notre société.

Nous avons besoin pour vivre que notre égo existe, avoir confiance en nous, une bonne estime de soi pour s’affirmer. Nous avons besoin de nous exprimer, dire ce que nous pensons, partager notre avis, nos opinions, expliciter ce qui se passe en dedans. Et ce qui vaut pour soi vaut pour les autres, sauf que des personnes parlent plus fort que d’autres, que la place des un·e·s et des autres n’est pas la même. Choses que nous arrivons à faire plus ou moins bien, avec plus ou moins de facilité, car cela s’apprend à dire, à donner, à être ensemble et faire ensemble.

Avoir sa place, trouver sa place, faire sa place. Et pour cela, parler en « je » pour être le plus clair, honnête, franc, ne pas se cacher derrière un “on”, assumer ses propos, les incarner. Être bienveillant déjà envers soi-même et ensuite envers les autres. Et donc inviter l’autre à faire de même.

Nous avons besoin pour vivre d’être avec les autres, de partager, de s’entraider, de collaborer, de faire ensemble et nécessairement de communiquer. Dire, s’exprimer, s’écouter, s’entendre, se comprendre, se questionner. Partager des informations pour mieux s’entendre, mieux se comprendre, mieux faire ensemble.

Autant il faut être vigilant à ce que nous disons, à la manière dont nous le faisons, l’intention derrière, l’intérêt plus ou moins caché, autant il faut l’être face à ce que les autres nous disent. Ne pas prendre pour argent comptant tout ce qui nous arrive, sous couvert que la personne est de confiance, un·e ami·e, qu’elle est experte, qu’elle est populaire. Ne pas prendre personnellement ce que nous recevons parfois en pleine tête, se rappeler que notre interlocuteur·trice est aussi traversé·e par la vie, les émotions, parfois des contradictions, des intérêts, des intentions.

D’où l’importance de vérifier ce qui est dit, de ne pas partager trop vite certaines informations. Prendre du temps et du recul, utiliser la bonne méthode, s’outiller. Déjà, bien faire la différence entre une opinion, une émotion, un besoin, une expérience, un élément subjectif et un fait, une chose prouvée, vérifié, certaine. Ensuite douter, ne pas se satisfaire d’un “c’est comme ça”. Faire de son mieux pour construire du savoir, de la connaissance avec la méthode scientifique, pour construire de l’information avec la méthode du journalisme d’enquête.

Se souvenir également de tout ce qui fait notre humanité : notre capacité à comprendre le monde qui nous entoure, notre (ir)rationalité, nos (in)croyances, notre•nos culture•s, notre•nos identité•s, nos connaissances, nos savoirs, notre créativité, notre inventivité, notre relation au monde, à notre environnement, aux autres, notre interdépendance. Avoir en tête que tout cela est complexe. Notre esprit nous joue souvent des tours, surtout lorsqu’il est submergé par des tonnes d’informations, par un surplus d’émotions. Nous sommes sujets à faire des raccourcis, à prendre des chemins de traverse, comme les fameux biais cognitifs. Les connaître et les identifier, s’entraîner au quotidien pour ne pas les subir est primordial.

Ensuite, à chacun•e de prendre ses responsabilités par rapport à ce que nous partageons, sur la véracité des informations, sur la manière dont nous le faisons, sur l’intention sous-jacente. Cela peut nourrir des projets plus ou moins bienveillant/malveillant, voire alimenter le rejet, la violence, la haine. Dans quel environnement, dans quelle société, dans quel monde souhaitons-nous vivre? Un vaste sujet qui mérite d’autres articles.

Finalement, après avoir parcouru les 7 premiers “quand”, il faut reconnaître qu’il serait plus sage de nous taire dans bon nombre de situations. Être conscient•e que nous n’avons parfois pas assez d’informations pour donner notre avis, qu’il faut prendre du temps et de l’énergie pour creuser certains sujets et construire de la connaissance, etc. Si malgré tout, vous souhaitez vous exprimer : allez-y ! Mais après avoir lu cet article, vous ne pourrez pas dire vous n’étiez pas au courant.