Le 8ème « mais »

Écriture
Étiquettes :

J’ai fait une émission de radio (Adventice #12) il y a un mois dans laquelle j’ai pris le temps de lire « Le pouvoir d’agir ensemble, ici et maintenant » dans lequel Lionel Astruc échange avec Rob Hopkins du mouvement des Villes en Transition. Ce livre est remplit d’énergie. C’est un conte moderne, un récit palpitant qui montre tout l’étendue de ce qu’une communauté peut faire, ce qu’un groupe peut entreprendre pour changer son territoire.

Il y est, à un moment, question des 7 « mais » : éléments paralysants face à l’envie d’agir, véritables obstacles à la mise en mouvement. Ces « mais » sont autant de prétextes pour ne rien faire, autant d’écrans de fumer derrière lesquels se cacher. Il devient plus que nécessaire d’arriver à lever ces différents freins, d’y réfléchir déjà, de trouver le moyen de s’en affranchir. Dans cette période d’incertitude, dans ce moment où le monde est à l’arrêt, nous pouvons saisir l’opportunité qui s’offrent à nous, faire des choix, transformer des choses, déplacer le curseur sur certains sujets. Nous pouvons faire en sorte, avant que la machine soit relancée et s’emballe de nouveau, de la façon dont nous voulons qu’elle soit relancée et s’il est nécessaire ou utile de repartir comme « avant ».

Je souhaite par ce texte apporter ma contribution et me dire que pendant la période de confinement, j’aurai fait ma part. Voici donc matière à penser sur ces 7 enfin 8 « mais ». Cela fait aussi écho à des discussions avec des ami•e•s dont Beatrice qui tient un blog pendant ce confinement (avec de très bons articles à lire et partager)

« Mais nous n’avons pas d’argent »

Le nerf de la guerre, diront certaines personnes, mais peut-être pas tant que cela. Certes cela fait partie des contraintes sur lesquelles il sera possible ou non d’agir mais la qualité d’un projet et sa bonne tenue ne sont pas uniquement garanties parce que nous y injectons de l’argent.

Il y a déjà l’énergie des individus qui le composent (qui peut soulever des montagnes à ce qui parait), l’enthousiasme, la force du collectif. Se mettre ensemble à la tâche, franchir certaines étapes côte à côte, avancer petit pas – petit pas et remporter des victoires, se réjouir de ce qui a été fait et se fixer de nouveaux buts à atteindre.

Il y a ensuite l’ingéniosité, la créativité, le système D, la capacité de certains membres de convaincre et d’embarquer les foules dans l’action, l’intelligence collective et l’effet multiplicateur. Certains obstacles sont nécessaires pour que des talents se révèlent. Face à l’adversité, il faut savoir clairement poser le problème et oser demander de l’aide. La solution est parfois sous notre nez.

Il y a également la force du réseau, des alliés précieux qui peuvent donner avec ou sans contreparties, et pas nécessairement financières, avec lesquels troquer, trouver un compromis, une relation gagnant-gagnant dans laquelle l’intérêt commun est que le projet aboutisse.

Bien sûr, il y a un minima à avoir, un fond de roulement nécessaire pour passer d’une action à l’autre. C’est auprès des acteurs du territoire, des différentes parties prenantes du projet qu’il faut trouver aussi un mode de financement durable. Parfois c’est aussi assurer son indépendance que de ne pas déprendre d’un seul financeur. Ce dernier pourrait exiger un moyen de contrôle, pourrait diriger l’initiative dans une direction plutôt qu’une autre, voire mettre un droit de véto et aller jusqu’à faire capoter le projet s’il n’y trouve pas son intérêt.

« Mais ils ne nous laisseront pas faire »

Qui est ce « ils » ? Un monstre tentaculaire ? Un système prédateur qui détruit tout sur son passage ? De qui avons-nous véritablement peur ? Des bureaucrates sans scrupule ? des grandes sociétés ? des puissants ?  Ou plutôt, de quoi avons-nous peur ? d’être considéré•e•s comme des opposant•e•s, des rivaux•ales crédibles ? de courir un danger à force d’agir pour le bien commun ? de faire éclater qu’il y a encore une lutte de classe à mener ? de ne pas être légion ? Ne sommes-nous pas les 99% du monde qui souhaitent voir les choses changer ?

Si nous nous retrouvons bloquer pour agir face à un ennemi imaginaire, comme Don Quichotte face à ses moulins, alors cela vient toucher notre humanité, notre capacité à oser, à entreprendre, à s’affranchir du cadre proposé, à s’indigner, à résister, à agir. Il faut peut-être s’attacher déjà à faire, sans se soucier des autres, faire pour soi, pour sa communauté. Si cela vient bousculer au point de susciter la curiosité, l’intérêt, ne vous inquiétez pas

Et si nous ne faisons rien, qui nous dit que ce « ils » n’est pas déjà à l’œuvre, à agir en pleine lumière ou en sous-marin, à détricoter les choses pour leur propre profit, à façonner les lois, les normes pour aller dans leur sens et ne pas être inquiété•e, ne pas répondre de leur méfait. Si nous nous organisons, en partant de la base, du local, en grossissant et changeant d’échelle, alors comment pourrons nous gagner le bras de fer ?

De plus, bon nombre de personnes qui travaillent dans ces multinationales sont potentiellement plus proche de vous et moi que de ce « ils ». Elles aspirent peut-être tout autant à une transformation de la société, elles cherchent peut-être à faire leur part ou ont potentiellement besoin d’aide pour y arriver. Elles sont autant d’alliés de l’intérieur qui seront précieux.

Une chose importante est de garder son indépendance, de ne pas être constamment instrumentalisé•e pour servir des intérêts partisans. Mais il est nécessaire à un moment ou l’autre de collaborer avec les élu•e•s, les agents des collectivités, les dirigeant•e•s, les salarié•e•s des entreprises. Il faut les faire basculer dans la Transition pour accélérer le mouvement, pour l’amplifier.
 

« Mais il y a déjà des groupes écologistes dans cette ville, je ne veux pas marcher sur leur plate-bande »

Chaque initiative est légitime à voir le jour surtout si elle réunit des personnes qui n’étaient pas déjà investies, surtout si les raisons d’être de ces différents groupes sont différentes. C’est par la diversité, la complémentarité, l’émergence de nouvelles dynamiques que se crée un maillage fort, cohérent et ambitieux sur un même territoire. Cela vient apporter parfois un souffle nouveau à des groupes qui ronronnaient mais n’arrivaient plus à aller de l’avant, à toucher de nouvelles personnes. Cela permet de sortir du vase-clos de certaines dynamiques qui ne regardaient plus ce qui se faisait à l’extérieur, qui se satisfaisaient d’elles-mêmes, qui se regardaient le nombril et n’étaient plus en lien avec l’ensemble territoire.

Bien entendu il faut laisser de côté les guerres de cloché ou d’égo. Savoir qui est le meilleur groupe, jouer la compétition plutôt que l’union, cela n’a pas d’intérêt et dessert tout le monde. Car la finalité est de trouver le périmètre commun dans lequel les différents groupes se retrouvent. La finalité est de déclencher la transition sur le territoire, avec ses habitant•e•s. Si l’énergie passée à tirer la couverture vers son groupe était mise pour collaborer, pour s’organiser il y a aura des victoires bien plus faciles.

En plus, rien ne sert de concentrer tout dans une seule entité. Il est illusoire d’imaginer réunir en un seul lieu, en un seul temps, en un seul groupe tout ce dont un territoire a besoin. Il est même inutile de chercher à créer cette structure parfaite réunissant tous les services, tous les projets, tous les groupes. Elle serait moins agile, moins fluide, moins réactive; elle aurait tendance à s’institutionnaliser, à poser un cadre qui entraverait la vie des groupes ; elle homogénéiserait la façon de penser et ferait de chaque individu un robot avec le même logiciel.

Au-delà d’une taille critique, il est même préférable de se diviser, de créer un nouveau groupe, d’essaimer et faire archipel, de laisser une part à la liberté et favoriser les rhizomes, encourager les adventices à pousser. Car d’un quartier à l’autre, il y a des spécificités qui méritent un meilleur ancrage local, car d’un immeuble à l’autre, il y a une meilleure (inter)connaissance des différent•e•s habitant•e•s, car d’un groupe à l’autre, il y a des atomes crochus, des envies de faire groupes différents, des individus qui ont bâti une histoire commune.

« Mais personne ne se soucie de l’environnement dans cette ville »

Être le seul à agir? Être une minorité à s’indigner du sort de notre planète? Être les rares individus à subir les désastres liés au changement climatique? Être peu nombreux à voir l’impact de l’agriculture intensive sur la qualité des sols, l’impact de l’industrie pétrochimique sur la biodiversité? Vraiment? Un peu d’humilité. Chacun•e agit à son échelle, chacun fait de son mieux.

Penser que personne ne se sent concerné, dire que dans les quartiers populaires par exemple les gens s’en moquent de la planète, généraliser le comportement de certains à l’ensemble d’une nation c’est être dans le préjugé et dans l’amalgame. Il est primordial de ne pas faire de supposition. Mais alors, comment savoir si les gens se soucie ou non de l’environnement?

Une des façons est d’aller leur demander, aller les chercher sur des thèmes concrets, qui touchent à leur quotidien, à leur famille, leur couple, leurs enfants. Prendre des sujets sur lesquels nous sommes tous concernés, impacts : l’alimentation, le type de repas servi dans les cantine scolaire, la mise en place de circuits courts; l’agriculture urbaine, la mise en place de jardins partagés; les transports, les infrastructures pour relier la ville au réseau, la place accordée aux mobilités douces; la qualité de l’air; la réduction des déchets, la lutte contre le gaspillage alimentaire; l’habitat, l’amélioration de la performance, de l’efficacité énergétique des logements et leur rénovation.

Et si effectivement sur votre territoire, vous avez le sentiment d’être seul•e, alors il faut faire du bruit, il faut vous faire entendre, commencer à faire pour attirer du monde. Certaines personnes sont parfois dans le flou et ne savent pas par où commencer. D’autres vont avoir besoin de réfléchir avant de s’y mettre; à l’inverse d’autres vont avoir besoin d’actions directement. A vous donc d’initier le mouvement, de montrer qu’une transition est possible, souhaitable, nécessaire. A vous de donner envie. Commencer avec les personnes motivées qui, si elles sont là, sont les bonnes personnes. Commencer par des petits projets dont l’impact sera visible rapidement. Une fois ceux-ci terminés, fêter dignement ces victoires. Emmagasiner l’énergie. Puis relever des défis de plus en plus grands. Rassembler de plus en plus de monde. Montrer par l’exemple.

« Mais il est sûrement trop tard pour faire quelque chose »

Le temps joue peut-être contre nous. Face à l’urgence, il est important de s’y mettre ou l’inverse, face à l’importance, il est urgent de s’y mettre ! Quoi qu’il en soit aujourd’hui, nous ne pouvons pas dire que nous ne sommes pas au courant de ce qui se passe. Cela fait des années que le constat est là : la Terre va mal, les enjeux liés au changement climatique affectent chaque recoin de la planète, les ressources naturelles limitées se raréfient, la surexploitation de la terre, des océans fragilisent les écosystèmes. Le GIEC alerte depuis des décennies. La littérature scientifique est quasi unanime mais il n’y a qu’à regarder autour de soi, aux journaux télévisés pour voir que tout cela se passe aujourd’hui. Désormais, chacun•e sait.

Pour certaines personnes, il n’est plus seulement question de savoir si nous fonçons dans le mur et quand, mais plus à quelle vitesse nous allons arriver dessus. Autant dire que plus tôt nous nous mettons à agir et mieux se sera. Car tout effort entrepris dès à présent est une victoire face à la catastrophe qui se dessine, toute personne qui agit pour la Transition est un élément de la solution.

« Mais je n’ai pas les qualifications »

Les diplômes et les qualifications ne font pas tout. L’aventure de la Transition n’est pas d’aller chercher des expert•e•s extérieur•e•s au territoire pour les voir observer ce qui va, ce qui ne va pas, ce qui serait à être amélioré, pour les voir donner des préconisations et des directives, pour dicter une marche à suivre, un programme d’avion qui pourraient se retrouver hors sol. Certes il peut être intéressant lorsque cela est nécessaire d’aller s’inspirer ailleurs, de se nourrir du retour des autres, de s’appuyer sur des personnes inspirantes mais c’est en vivant la Transition que l’on devient transitionneurs•euses.

L’aventure est individuelle et collective, pour et par les habitant•e•s, par celles et ceux qui vivent, qui font vivre le territoire. C’est en cheminant que le chemin se révèle à nous, c’est par l’expérience que s’acquiert la connaissance du terrain, c’est en tâtonnant, en se posant des questions et en cherchant les réponses ensemble, c’est en soulevant les freins que nous trouvons les leviers, c’est en faisant des allers-retours entre la théorie et la pratique, entre la recherche et l’action que le groupe grandit, apprend, résout, s’affranchit.

Au croisement des compétences et des savoirs, chacun•e est porteur•euse de richesse, chacun•e apporte sa pierre à l’édifice, chacun•e sait quelque chose, chacun•e peut partager ce qu’il sait, ce qu’il connait, ce qu’il maitrise et aussi continuer à apprendre tout au long de sa vie, et ainsi développer une communauté apprenante, qui encourage l’échange. Et si vous ne le faites pas, qui le fera ?

« Mais je n’ai pas l’énergie pour faire ça »

Se sentir dépassé•e par la tâche à accomplir, tant elle est gigantesque est normal. Il y a tant à changer : de son immeuble à son quartier, sa ville, son territoire, sa région, son pays, de son mode de consommation à ses modes de déplacement, ses loisirs, ses voyages, de son rapport à l’autre, son couple, sa famille, ses amies, son rapport à la Terre, à l’alimentation. Et avec cela, les injonctions qui nous tombent dessus de notre entourage, de la société auxquelles il ne faut pas céder : être performant•e, efficace, être exemplaire, faire le chose bien dès le départ.

Se sentir débordé•e par la perspective du travail à accomplir et sa complexité est normal. Il faut oser demander de l’aide et vous verrez, les gens se manifesteront. Curieusement dans ce genre d’aventures humaines, collectives, les bonnes personnes arrivent au bon moment. L’énergie qui parfois fait défaut à une personne du groupe est contrebalancée par celles des autres.

Déjà, soyez bienveillant•e envers vous. Ne pas se fixer comme objectif de tout bouleverser du jour au lendemain. Certes il y a parfois des sujets sur lesquels les changements vont être radicaux. Mais rien ne sert de passer d’un extrême à l’autre, il y a toute une gamme de couleurs à explorer, tout un cheminement à faire. C’est souvent cela qui est d’ailleurs le plus important, de prendre le temps,  d’être juste quant à l’énergie que vous pouvez mettre. Et faire de votre mieux.

« Mais j’en fais déjà largement assez ».

Il y a quelques jours, j’ai découvert le 8ème « mais ». Une amie se demandait comment s’assurer que l’État et le privé respectent leur engagement vis à vis de l’écologie après l’épidémie du covid19. Moi de lui répondre en mettant la pression, en agissant à notre niveau, en se mobilisant collectivement. Et une personne d’ajouter, c’est que l’on faisait déjà avant. Voilà un nouveau frein, se dire que l’on en fait assez et que de toute façon,  cela ne porte pas ses fruits.

‪Avant, pendant, après la crise. Le faisions-nous vraiment?? Allons-nous le faire? Mettons-nous notre énergie au profit de ce projet de vie, de société pour lequel nous aspirons?? Mettons-nous chaque acte au profit de cela? Nos choix de consommation? Nos choix de voyage? Nos choix de placer un euro ici plutôt que là? Mettons-nous notre temps au profit de projet locaux qui transforment le territoire dans le sens que nous souhaitons? Mettons-nous le bon bulletin de vote dans l’urne, celui qui mettra aux commandes des personnes dont le projet de société…?

Car si c’est que vous faites, si « avant » vous êtes droit dans tes baskets, alors il faut continuer, convaincre autour de vous votre famille, vos proches d’aller aussi dans ce changement. Si vous estimez le faire, alors rejoignez les transitionneurs•euses, créez une communauté sur ton territoire pour organiser les énergies, les forces et faire évoluer durablement celui-ci.

‪Si vous estimez le faire, alors vous êtes exemplaire sur bon nombre de sujets, vous avez des solutions à proposer, vous avez des conseils à donner pour accompagner les autres autour de toi à se mettre en mouvement, à trouver le chemin. Si vous estimez le faire, alors vous êtes dans une recherche action permanente pour continuer à mieux faire, tendre vers le 0 déchet, être le plus sobre et résilient possible, être sur le chemin du bonheur, aider les autres autour de toi à être heureux et ne pas souffrir.

Alors il faut continuer à le faire. Alors vous avez une parole impeccable, vous exprimez le plus justement vos besoins pour qu’il puisse être compris des autres et vous invitez les autres à le faire pour que vous comprenez ce qu’ils•elles veulent. Alors vous ne faites pas de suppositions sur ce qui vous entoure, vous posez des questions dès que vous ne comprenez pas pour clarifier les choses, vous acceptez le débat et la contradiction et apportes des éléments constructifs aux échanges pour que les gens autour de vous comprenne mieux le monde qui les entoure. Alors vous rendez acteurs•actrices les gens autour de vous pour qu’elles•eux-mêmes puissent agir et à leur tour rendre d’autres gens autour d’elles•eux acteurs•actrices.

‪Si vous faites tout cela , alors bravo et merci !