Interview de Shadee K

Suite à l’interview de Codex Urbanus, je demande via Facebook si d’autres artistes seraient intéressés. Shadee K me dit oui rapidement. Nous organisons cette rencontre pour la semaine suivante.

Il est important pour moi de continuer à faire vivre le site de manière cohérente, sans en mettre trop ni pas assez. Mais surtout d’aller à la rencontre d’une personne, savoir que l’artiste est prêt pour être interviewé, que les conditions seront là pour prendre le temps, être à l’aise.

Est-ce que Shadee K se souviendra que nous nous sommes déjà rencontrés ? Il y a presque un an j’étais venu le voir pour découvrir son travail et lui proposer d’assister avec mon appareil photo à la création de A à Z d’un nounours. Nous avions discuté un peu. J’avais entrevu son univers sans que cela aille plus loin. Le temps est passé. J’ai changé. Mon site a vu le jour, j’ai rencontré de plus en plus d’artistes, j’ai vu de plus en plus de vernissages, faisant ainsi le lien. Pour moi, cela fait sens.

Me voilà donc face à lui. Nous sommes le 1er avril 2014. Il fait beau. Nous nous installons à la terrasse du restaurant situé au dos des Frigos. Timidement nous commençons. 1h30 plus tard, nous n’avions pas fini.

Si vous voulez découvrir qui se cache derrière ce joli nounours, je vous invite vivement à lire la suite.


Pseudo : Shadee K. Il n’y a pas de règle de prononciation soit [ʃade], soit [ʃadi].

Age : 26 ans

1ere fois sur un mur : Je me rappelle assez bien. C’était en 2000-2001. Cela fait plus de dix ans. C’était dans le 93, dans ma cité. Avec des amis d’enfance. Mon tout premier truc c’était un flop, un bubble. Vert fluo pour les détails. J’ai même une photo du truc.

Cela reste un moment collectif. Au sein de ce groupe, vous vous étiez mis tous à graffer ? Ou juste certains ?

Certains l’avaient fait, pas tous. On était 2-3 à l’avoir fait ce jour là. Après, les autres se sont intégrés sur le même mur. Dans les jours qui ont suivi. On a fait tout le mur.

Cela reste un souvenir fort puisque tu dis que tu en as gardé une photo. Est-ce que  cela reste un bon souvenir ? un point de départ ?

C’est un bon moment car je l’ai fait avec mes amis d’enfance. Maintenant je ne les vois plus. Quand je pense à l’époque où je taguais et graffais, je me rappelle de mes amis d’enfance. Finalement ils m’ont un peu zappé et je les ai un peu zappés depuis le temps. J’ai même des photos d’eux devant leurs graffs. J’ai tout ça dans des pochettes, que j’ai stocké. Cela reste de bon souvenir.

Dernière fois sur un mur : Sur un mur, c’est pas évident à répondre. Maintenant je colle. Donc est-ce que cela s’appelle quand même « faire un mur » ? Je ne suis pas sûr. La dernière fois que j’ai peins sur un mur, c’est pour Le M.U.R. il y a plus d’un an. (Association Modulable, Urbain, Réactif)

Et les collages, tu y va de manière régulière ?

Il n’y a rien de précis. Cela dépend vraiment.

Lieux de prédilection : J’imagine, comme tu es basé aux Frigos, qu’il y a des Nounours autour du bâtiment et dans le 13ème. Mais est-ce le seul endroit ?

J’ai posé un peu partout maintenant. Beaucoup à Paris. Pour les collages, c’est essentiellement le 13ème. Enfin avant. Parce que je colle de moins en moins sur l’arrondissement. Il y a aussi dans le 11ème et 12ème. Mes 3 zones préférées. Sinon là j’ai commencé dans le 18ème. D’ailleurs j’y colle ce soir. Enfin faut pas le dire. Bon le temps que l’interview sorte, ça ira.

J’ai collé à Bordeaux, à Lyon. J’ai graffé au Canada, en Allemagne. Partout où on m’invite, j’y vais.  Là, je vais essayer de retourner à Lyon, aller à Lille. Peut être en Algérie dans l’année. Et voilà.

Définition : C’est vrai qu’on me disait graffeur. Quand je colle, on me dit Street Artiste. C’est les autres qui te donnent ton appellation. Car plus ça va dans le temps, et plus les gens disent juste Artiste. Moi, je ne sais pas trop. Je m’en fous un peu. Je dis Street Artiste parce que l’on fait des expos Street Art.

C’est ce qui correspond le mieux pour que les gens qui viennent ne s’y perdent pas trop ?

Voilà, on va dire ça. Y’a plein de gens qui n’aiment pas cette appellation. Comme Paella, qui n’aime pas du tout. Je sais qu’il y en a plein qui ne veulent pas être sous cette dénomination. Moi, Street artiste, ça ne me dérange pas. Je trouve même ça bien. C’est soit disant une nouvelle mouvance. Depuis au moins 30 ans.

Au niveau de ce que tu fais, ton univers, comment tu te définie?

Maintenant je ne fais plus à la bombe depuis que j’ai arrêté de tagguer. Cela coute trop cher. C’est pas la peine. Je me suis mis à l’acrylique et aux Poscas. Sur des murs directement, je ne le ferai pas sauf si on me le demande comme pour le M.U.R. J’avais fait également une commande, dans une chambre. J’avais fait un Winnie l’ourson, toute la chambre avec un décor. Je l’avais fait au pinceau.

De toute façon, je pense que si on le fait sur papier ou directement sur le mur cela ne change pas trop. Sauf la nuit, quand j’ai une dizaine de nounours à coller, cela va plus vite. Je n’ai pas envie de galérer comme Codex Urbanus, avec un marqueur, dessin par dessin. C’est une prise de tête. Et lui, il s’arrête à chaque voiture. Cela me fait beaucoup rire, à chaque fois qu’il me raconte ça. Moi, j’en placarde plein dans la même foulée. Je commence à coller quand il y personne. Mais s’il y a des gens qui passent entre temps, je m’en fous complètement. J’en ai pour 10 secondes à coller. C’est rapide, préparé à l’avance.

Est-ce que tu as une actualité ? Il y a eu l’exposition In & Out mais depuis?

Elle est passée depuis presque un mois. Pas de chose de prévu sur Paris. Je suis invité sur Marseille pour exposer. Il n’y a pas de nom d’expo pour l’instant. Je sais qu’il a une bonne tripoté d’artistes, certains de Paris. Il y a ça de prévu dans 1 mois et demi. On commence à préparer.

Il y a une vente aux enchères pour la Croix Rouge. Un peu dans la même idée que Art Curial. Le livre de Philippe Bonan est sorti dans lequel je suis. Ça, c’est fait. Sinon j’ai toujours des commandes donc je ne m’ennuie pas.

Pour revenir à ton pseudo, le K se rajoute parfois à ton pseudo. A-t-il une importance ?

Normalement il devrait maintenant être mis tout le temps. Il y avait une différence avant, quand je graffais, taguais. A cette époque, je signais que Shadee. Même avec un Y. Il y a eu une coupure. J’ai arrêté de poser dans les rues. Je me suis mis à faire du collage quelques temps après, un ou deux ans. Là, il n’y avait plus de signatures du tout parce que je ne me considérais plus comme un taggueur. Donc je n’avais plus besoin de signer. Je mettais bêtement un K, pour Kévin, comme une blague.

Lors de ma première expo, on m’a demandé quel était mon nom : K ? Kevinours ? Je blaguais avec les gens en leur disant Kevinou. Je partais en rigolant. Et puis après je leur ai dit, Shadee comme avant, puisque c’était mon surnom, et j’ai rajouté le K puisque tous les nounours avaient un K sur eux. Beaucoup de gens m’appellent Shadee Kevinours mais c’est mon pseudo sur Facebook. Je n’avais pas le choix au niveau du nom de mettre un K tout seul. Donc mon surnom, c’est Shadee K.

Cela reconnecte un peu le passé et le présent en mettant Shadee K ?

Lorsque l’on m’a demandé quel était mon pseudo, j’ai bien réfléchi. Je me suis posé une après midi. Bon je vais prendre mon pseudo d’avant et mettre qui je suis maintenant.

(Il a été rajouté durant la conversation les éléments suivants, expliquant son pseudo) J’ai été élevé en famille d’accueil par des algériens. Donc [ʃadi] en kabyle, cela veut dire  le singe. D’où mon surnom vraiment.

C’est un surnom que l’on t’a donné ou que tu as pris ?

Oui. Quand j’étais petit, j’étais un sauvage. Je cassais tout dans la maison. On me voyait escalader dans tous les sens. On m’appelait « le singe » et en arabe pour ne pas dire que l’on me traitait. C’était ma famille d’accueil. Donc je pense qu’il n’avait pas le droit de me traiter. J’y suis resté de mes 3 ans jusqu’à mes 18 ans. C’est comme ma famille. Donc c’est le surnom qu’ils m’ont donné.

Quand j’ai commencé à tagguer, je suis resté dans cette explication. Et pas de lien avec Eminem. C’était à la période où il a sorti le titre Slim Shady. Certains m’ont assimilé à ça. En plus je l’aime pas donc c’était ridicule, y’avait pas de lien.

Est-ce qu’aujourd’hui il y a un lien avec ce que tu fais ? Non pas de faire des singeries, mais le fait de toucher à tout, d’être énergique ?

Je suis devenu pantouflard. J’escalade encore. Je grimpe encore assez bien. Je ne suis pas encore trop vieux. Mais cela n’a plus de lien. J’ai taggué ça pendant 15 ans. C’est resté.

Est-ce que les nounours ont un nom ou surnom ?

Non. Je les appelais des Kevinours en rigolant parce qu’ils n’ont pas de nom. Je les considère comme des mascottes. Ils ont une histoire. Je les ai dessiné à l’époque pour mon ex. Elle m’offrait des nounours à tout va. Sur son blog, un skyblog car cela fait 10 ans, elle se prenait en photo avec ses nounours. Elle kiffait ça. J’en ai dessiné pour elle au début.

Moi je suis de la génération des années 90. On kiffait Sonic, Mario, les Tortues Ninja. On avait plein de mascottes qui étaient les portes drapeaux de plein de marques. Le nounours est mon porte-drapeau à moi. Il n’a pas forcément de nom.

Un peu comme les avatars ? Ton double en jeu vidéo ?

Carrément.

Raconte moi ton histoire : Qu’est ce qui est important de connaitre de ton parcours personnel, professionnel ou artistique pour comprendre ton travail aujourd’hui? Quelles sont les étapes qui t’ont fait devenir Shadee K?

C’est compliqué comme question. Comme je t’ai dit, j’étais un graffeur, taggueur. C’est une suite logique. Faut toujours poser son surnom sur ce que l’on fait. C’est comme ça que j’ai commencé. Je n’ai jamais pris de cours. Je n’ai jamais vraiment appris à dessiner, même si je me débrouille bien maintenant, au bout de 15 ans. J’ai appris tout seul, sur le tas. J’ai fait le tour de l’alphabet, des lettres, du graffiti, du tag. J’ai voulu changer de style. Et faire des personnages. Le collage, cela va plus vite à poser en vandal, en illégal. C’est pour le côté pratique. Je suis passé du graff au collage pour ça, pour évoluer, faire d’autres trucs. J’aurai pu toujours en faire dans des fresques, comme plein d’autres le font dans le graff, mais je préfère le faire en collage. Cela me permet de les mettre à droite, à gauche, dans les rues et pas seulement dans des terrains vagues.

Avant ton premier mur, est-ce que cela t’arrivait de dessiner, sur des feuilles à l’école ?

Non. Pas vraiment. Je dessinais quand j’étais petit mais comme tout les enfants. En maternelle, avec des feutres. Sortie de ça, je n’étais pas un passionné de dessin. Je le suis devenu à force de tagguer et de graffer. Je voulais toujours améliorer mes lettres. Je voulais toujours que cela pète plus. Je suis parti à faire des persos pour mettre en valeur les lettres et le surnom qu’il y a au milieu. C’est tout. Depuis je suis devenu un fan de bandes dessinées, je regarde des dessins animés tout le temps alors que j’ai bientôt 30 ans. Et du jeu vidéo à tout va aussi. Tout ce qui est graphique me plait maintenant.

Cela a développé ton appétit de voir autre chose ?

Je ne serai jamais rentré en galerie sans ça. Aller voir des expos je parle. Depuis, je vais dans les musées. J’ai même dessiné des sculptures qu’il y a là-bas. Alors qu’avant j’en avais rien à faire.

On me parlait d’expositions, je disais que c’était des vendus. Maintenant cela me fait doucement rigoler lorsque j’en entends dire encore ça. C’est ridicule. Pareil pour les musées. Je t’aurai dit que c’est des trucs vieillots, que les gens nous inventent une culture et nous disent « c’est ça la culture artistique ». Je pense qu’il n’y a pas de règle. Il y a du bon à prendre de partout.

Est-ce qu’il y aurait dans ton parcours, des personnes, des sources d’inspirations qui t’auraient apporté ? Je vais prendre 2 exemples : Codex parle de certains artistes qui ont rendu possible le vandal, Dan23 c’est la musique, des artistes noirs américains auxquels il a rendu hommage.

Comme je le dis toujours, on n’est jamais seul sur la planète. Ceux qui disent qu’ils se débrouillent tout seul sont des mythos. Il y en a beaucoup et depuis des années. Si tu veux une liste, cela est chaud.

En tout cas, avant de tagguer, ceux qui m’ont donné envie de m’y mettre, il y aurait :

  • une graffeuse Lady.K, qui cartonne et qui va exposer bientôt. C’est les trucs de Tetris. Je vais être avec elle en plus. Donc je suis tout excité. J’espère la rencontrer. J’aime beaucoup son style, graff rose. Cela m’a donné envie d’en faire, sans l’avoir jamais vue.
  • Mon ex. C’est elle qui m’a fait dessiné les nounours. Depuis je n’ai pas lâché l’affaire.
  • Paella, qui m’a permis de faire mes premières expos, qui me conseille aujourd’hui. Je découvre des milliards de trucs.
  • Larrivaz pour les mêmes raisons. Ils sont dans le même atelier.

Il y en a tellement, après je m’y perds. Les mecs avec qui je graffais quand j’étais petit : Vandal, Cito, Lazer. C’est le genre de gens que j’aimais bien. Y’avait : Ozé, Shy2, du crew 315 du Blanc Mesnil, Acier. Il y avait les grands de ma cité.

Et puis comme source d’inspiration, comme je te l’ai dit, c’est le dessin animé. Je suis très Disney dans l’âme, très jeu vidéo en 2D. Sonic, Rayman.

Cela fait combien de temps que tu es aux Frigos ? Peux tu expliquer brièvement ce qu’est ce lieu ? Comment tu es venu à être ici ?

Alors pour l’explication, Les Frigos c’est des ateliers d’artistes. C’est des anciens entrepôts frigorifiques. Cela remonte à plus de 50 ans. Il y a de tout comme artistes : des photographes, du dessin animé, de la couture, de la peinture, de la sculpture, des musiciens. Environ une centaine d’artistes. Cela appartient à la mairie de Paris, depuis 2004. Avant c’était à la SNCF.

Moi, j’étais en famille d’accueil. A 18 ans, le juge pour enfant avait mis fin au placement familial. Donc je me suis retrouvé à dormir dehors.  Je suis un ancien SDF. J’étais dans le 93. Je suis monté à Paris car il y avait des foyers d’urgence.

J’ai atterri aux Frigos depuis 5 ans. Il y avait déjà ma mère ici depuis 15 ans. Je ne voulais pas trop voir ça avant. Je suis resté dans la rue au moins 3 ans. De foyers en foyers, ou même dehors. Plutôt que de crever, parce que je devenais malade, je me suis dit que je pouvais aller chez ma mère. J’étais limite en dépression quand je suis arrivé aux Frigos. Mais là, ça va mieux.

Ça a été un point pour s’ancrer, pour être dans une grande colocation avec tous ces gens là, qui apportent de l’énergie, des projets, des sources d’inspiration. Un bon moyen pour rebondir ?

Je suis venu au début pour repartir 3 mois après. J’avais beaucoup l’habitude. De déménager tous les 4 jours, là où je pouvais. Au début  je pensais me barrer aussi vite. Du coup, pas. Cela n’a pas été pour le dessin, ni la peinture. Parce que je suis resté 1-2 ans à rien faire, c’était la période où j’ai arrêté de tagguer. Finalement, je ne savais plus quoi faire. Je travaillais quand même. Je m’occupais d’enfants, j’étais animateur. Je leur faisais faire du graffiti. Et sinon je m’occupais de personnes handicapées. Donc y’a rien qui me prédisposait à dessiner.

Paella m’a fait faire mes premières expos. Et là je m’y suis mis vraiment. J’avais une cinquantaine de collage à mon actif. Ce qui est pas mal en peu de temps. Je n’aurais pas pensé continuer comme ça. Mes premiers collages, c’était un défouloir. Pour m’occuper en attendant de me barrer d’ici. J’étais aux Frigos. Y’avait plein de tags, plein d’artistes, c’était marrant. Donc je me suis pris au jeu.

Ce n’était pas un endroit où rester mais plus une étape ?

Carrément. J’étais aussi dans  cette mouvance là depuis quelques temps. Selon les gens que je rencontrais, j’ai fait plein de petits travails. J’étais jamais sûr de rien, sûr du lendemain. J’ai atterri ici au pif. Je ne pensais pas rester, ni faire des trucs.

Niveau technique, tu as dit que tu n’avais pas reçu d’enseignement artistique et que cela t’es venu en pratiquant, en faisant. Nous sommes beaucoup dans l’idée que l’on doit apprendre, qu’il n’est pas facile de commencer par le faire. Comment tu vis cela ?

Je n’ai pas reçu d’enseignement artistique. Je n’ai jamais eu les moyens pour ça. Mais j’ai reçu ma formation avec tous ceux que j’ai rencontrés, tous ceux que j’ai vu à l’œuvre. Que ce soit des coutures ici aux Frigos, Paella ou d’autres peintres qui m’ont pris sous leurs ailes. Comme Rufo. Ils m’ont fait touché de l’ordinateur, de la 3D. Mine de rien, le fait d’être en galère, j’ai eu du temps libre et je voulais faire ce qui me passionnait. Donc j’ai pas eu d’enseignement classique, mais j’en ai eu un avec tous les artistes que j’ai croisé, tous les voisins, tous les graffeurs que j’ai rencontré toutes ces années.

Tu es très curieux et tu as eu la chance donc d’être avec des gens qui spontanément te montraient, partageaient ?

Voilà. J’ai appris en tagguant depuis que je suis petit avec des millions d’autres taggueurs. Dans mon quartier on était au moins une centaine. Il y a eu des peintres que j’ai rencontrés après. Tous ceux que j’ai rencontrés m’ont appris, déjà parce que je les regardais.  Je faisais avec eux, ils me disaient quels étaient mes défauts. C’est suffisant. Au final j’ai fait plus d’école de dessin que tout ceux qui en ont fait.

Quand tu conçois une œuvre, avant qu’elle soit sur un mur, comment tu fais ? Combien de temps cela te prend ? Combien de nounours tu crées ? Est-ce que parfois tu fais des séries ?

Je fonctionnais en série. Mais de moins en moins. Il y a un truc de bizarre, c’est que plein de fois je me note des idées, genre mon nounours ira à la pêche. Je crayonne des trucs, je les mets de côté et je ne les fais jamais. A chaque fois que je vais dessiner pour faire une série de collage, parce que cela me manque, je ne regarde pas les croquis que j’ai. Je dessine tout de suite un truc au pif. Je ne prépare, plus ou moins, pas. J’ai un classeur rempli.

Au niveau du matériel et des moyens que tu utilises pour réaliser tes œuvres ? Et au niveau des supports ?

C’est du papier kraft. Je le peins à l’acrylique si j’en ai. Poscas beaucoup. Sinon j’utilise aussi du maquillage.

Cela fait un budget conséquent ?

Assez. Cela coute bien cher. Mais ils sont tellement pratiques et efficaces que l’on ne s’en passe pas. L’acrylique c’est plus rentable. Il faut quand même l’acheter. Si on fait des toiles, cela augmente tout de suite. Si on fait encadrer, également. C’est compliqué. A chaque fois qu’il y a une expo, il y a des millions de questionnement en plus.

Tu travailles sur d’autres supports, je l’ai vu sur internet, notamment sur des corps. Est-ce que toucher à plusieurs choses, le graff, le collage, le body painting, cela permet de requestionner ce que tu fais ?

Je ne sais pas trop. Pour le body painting, c’est un truc en plus. De graffeur. Même si je ne graffe plus, j’ai encore ça. C’est très technique. C’est pour ça que j’aime encore en faire. Sinon y’a pas vraiment de différence avec un dessin classique. Là, tu as de la peau. Ça ne se peint pas pareil. Tu tombes sur un os. La meuf respire. C’est un challenge à chaque fois. Il y a aussi l’endroit où je peins, choisi par les nanas.

Il y a pas longtemps la photo montrait des fesses sur internet. J’ai eu plein de féministes qui sont venus me clasher. Cela me saoule, m’énerve un peu et en même temps me fait rire. Je laisse la liberté du choix au modèle. Elles se déshabillent comme elles veulent, elles choisissent où je peins, même des fois ce que j’écris. Souvent c’est leur prénom. Donc quand il y en a qui se plaignent, qui disent que cela ne respecte pas l’image de la femme, j’ai envie de dire que cela va trop loin par rapport à ce qui s’est vécu. Les filles sont libres de A à Z. Quand tu parles d’un graff, tu ne rentres pas dans des débats comme ça.

Elles ne sont pas forcées. C’est fait de manière bon enfant. Elles choisissent presque ce qui va leur arriver. Toi, tu réalises le dessin.

Non je ne les attache pas dans ma cave. Moi je pense surtout à la technique. Comment faire un dégradé sur une peau. J’utilise beaucoup du rouge à lèvres, des crayons de maquillage. J’essaie encore d’apprendre et de creuser mon style. Le body painting ne me sert qu’à ça. Je ne gagne pas d’argent. Il y a plein de graffeurs qui le font et qui sont payé pour ça. Moi non, je le fais toujours gratuitement. C’est pour m’entrainer, pour m’améliorer. Pendant les périodes où j’arrêtais le dessin, le collage, je faisais que du body painting. Et après je revenais à mes collages. Je revenais plus fort.

Avec le choix de certains modèles, est-ce que cela t’arrive d’utiliser la couleur de la peau, le relief du corps pour faciliter la réalisation du dessin ?

Quelques fois des petits problèmes. Mais pas tant que ça. Je n’ai pas des modèles officiels qui font du mannequinat. En body painting, cela va durer 2-3 heures. On n’a pas le temps de se prendre la tête non plus. Il faut y aller. Un jour, j’aurai des modèles pros, quand j’aurai un peu de tune. Mais pour l’instant, j’arrive à faire des graffs qui tiennent la route. Parce que faire des traits précis sur de la peau, c’est compliqué. Donc je verrai plus tard, je creuserai ça à fond. J’en ai déjà fait une cinquantaine.

Est-ce que le dessin dure un certain nombre d’heures pour la personne ?

Non. C’est fait et souvent enlevé. Cela part à la première douche.  Certaines nanas se sont endormies avec le dessin. Au réveil, il est tout effrité, presque parti. Cela ne reste pas.

Moi j’ai déjà fait modèle pour ça. Avec une graffeuse que je connais, Mangue. J’en ai fait 3-4. Je connais la sensation que cela fait. Cela tire un peu la peau, cela s’effrite vite, cela ne tient pas. C’est dommage d’ailleurs mais c’est de l’éphémère.

C’est rigolo de s’être prêté au jeu d’être à son tour modèle pour du body painting. L’expérience doit être enrichissante.

Je voulais tester. J’en avais fait déjà plein à ce moment là. Je voulais voir ce que cela faisait, si ça ne faisait pas mal. Parce que des fois on a des feutres fins. Je me demandais comme ils sont pointus si cela faisait mal. Est-ce que cela prend du temps ? Est-ce que c’est fatiguant ? Saoulant ? Chatouillant ? Avec cette graffeuse là, avec qui j’avais fait quelques collages et graffs aussi, j’ai voulu essayer. On se donnait à ça des nuits entières. Elle me graffait. Environ 3h. Je la graffais. On arrivait le matin. Ça me manque les sessions comme ça.

Le mode opératoire ? Tu disais qu’à partir du moment où tu ne voyais plus personne, tu commençais à coller et qu’ensuite tu ne t’arrêtais plus ?

C’est très changeant. Je le faisais de nuit. Mais plus ça va et plus je le fais de jour. Je repère pas tant que ça les endroits. Je me balade avec mes dessins, je fais au pif .J’ai du repérer 3-4 lieux dans ma vie mais c’est tout.

Tu pars avec beaucoup de dessins ?

Des fois j’en ai que 5. Des fois 1 seul mais grand. Cela dépend.

Et le matériel ?

Une brosse. De la colle. Et un sac de plastique avec les dessins. Je joue la discrétion. Comme si je sortais de Franprix. Y’a pas de mode opératoire précis. Cela dépend d’où je suis, de ce que j’ai à coller.

Certaines fois j’y vais sans sac.  Quand je suis chez moi, dans le 13ème, je prends mes dessins à la main. La nuit, le jour, cela va changer si c’est loin de chez moi ou pas. Ce n’est pas forcément en hauteur. Plus ça va et plus je les colle plus bas. Comme à Lyon ou Bordeaux. Tout simplement parce que je n’ai rien pour monter. Soit la surface fait que je peux escalader et j’y vais, soit je prends de poubelles. Parfois y’a rien de tout ça, alors je colle plus bas, comme je suis tout petit.

As tu une anecdote ? Et tu as déjà eu des problèmes ?

Plusieurs. Mais là en tête, les flics qui m’ont attrapé. Enfin j’étais en hauteur, dans le 13ème, éloigné. J’étais accroché à une fenêtre. Je collais mon dessin. Il pleuvait. Une voiture de keuf déboule. Qui fait un dérapage de keuf. Moi je commençais à stresser. Ils m’ont dit calme toi, descend doucement, glisse pas, te fais pas mal. Je descends. Je prends tout mon temps. Et puis finalement ils étaient cool.  Ils m’ont laissé partir. Ils m’ont dit qu’ils avaient déjà vu ma peluche à droite et à gauche, qu’ils aiment bien mes dessins.  Ils ont quand même vérifié mon nom pour voir si je n’étais pas cherché pour des conneries X ou Y. Avec mon adresse ils ont vu les Frigos, ils ont dit « en plus t’es un artiste du coin, bravo, c’est génial ». Ils m’ont presque fait la bise. J’avais d’autres collages à poser dans mon sac. Ils me les ont rendu. Je leur ai dit salut. Je les ai recroisé dans la nuit en train de coller. C’était sympatoche.

Il y a des moments cools comme ça, où les gens s’arrêtent, parlent avec toi, te disent qu’ils aiment bien. Certains qui ont déjà vu tes dessins. Dans le 13ème, des fois plus loin. Comme ça circule assez bien les photos. Après des moments plus relou, les gens qui font les flics. Des mecs un peu fous. C’est plus chiant. J’essaie de les éviter. Je refais le tour. Je me casse. J’évite de parler avec eux. Quand je commence, j’évite qu’il y ait des gens.

Je pars du principe que même s’ils aiment bien ou pas, je suis censé être un fantôme qui passe par là. Tu es censé connaître mon dessin, ma tête à moi on s’en fout. Pas trop envie de parler avec eux. Faire cela discrètement.

Est-ce que tu as le sentiment que tes collages restent plus longtemps que d’autres ? Notamment parce que ce sont des nounours ?

Non. Ils ne sont pas chouchoutés. Je m’en fais déchiré, taggué comme tout le monde. Après plus on colle en hauteur, plus cela va rester. Le truc aussi, coller dans le spot où il y a plein de gens, ça va se faire enlever. Moi je colle dans les rues au pif.  Cela tient mieux. J’en colle même parfois dans les parkings, en sous-sol. Il reste longtemps, discret dans un coin. Ils sont mignons.

La dimension politique : Est-ce que dessiner sur les murs, c’est pour questionner les habitants au sein d’une cité ? Est-ce que ce rôle là est important pour toi ?

Rien de politique en tout cas jusqu’à là. Pas encore. Peut être un jour. Je pose mes dessins. Je cherche à me faire kiffer moi à la base. Après les gens s’ils aiment bien, tant mieux. Sinon ce n’est pas très grave. Ce n’est pas que l’opinion des gens je m’en fous. C’est juste qu’ils sont libres de penser ce qu’ils veulent. Il y en a plein qui n’aiment pas, qui me disent « tu dessine tout le temps le même truc ». Et en plus je vais continuer. C’est la réponse que je leur donne. Il y en a plein qui  se l’approprient parce que tout le monde a eu des nounours, des peluches.

Il y a un côté ludique, fun. Le personnage est là. Il n’a pas de message.

Je pourrais. Ça serait facile. Mais non. Rien du tout pour l’instant.

Derrière un pseudo, derrière un nounours, est-ce que cela te permet de t’exprimer ? De contourner ? De délirer ?

Pas trop. Je pourrais faire comme dans le dessin animé Happy Tree Friends. J’étais fan de ça. Mais ce n’est pas le but. Des fois le nounours se fait déchirer. Je le considère mon perso comme de bande dessinée, comme Mickey. Il ne faut pas qu’il soit trop choquant. Dans les rues, il y a des gosses, ils l’aiment bien. Des familles ou des nanas. Je n’ai pas envie d’en faire d’importe quoi non plus. Ne pas être dans le trop trash. Il n’y a pas de raison à le faire.

Et puis je suis un mec sage. Timide, finalement. Plus que ce que l’on pourrait croire. Moi c’est déjà beaucoup que je sois en expo, que je montre ma gueule, que je sois avec les gens. Je fais des efforts. Il y a 5-6 ans, je ne l’aurai jamais fait de ma vie. Se cacher derrière un pseudo, c’est se montrer sans se montrer, montrer ce que l’on sait faire et moins ce que l’on est, en restant à l’abris chez soi.

Il y a le côté perso, ton histoire qui ne se montre pas peut être pas à travers le nounours. Les choses sont-elles cloisonnées ? Cela t’appartient de laisser transparaitre des choses d’un côté à l’autre. Tu n’as pas forcément envie de tout montrer.

Sur plein de dessins, il y a des trucs. Mais comme je ne le dis jamais. Je ne le dirais toujours pas. Je dessine mon ex, enfin une autre ex. C’est celle qui déchire des nounours. Une brune. Je l’ai dessiné 4-5 fois. Y’a une tripoté de trucs.

Cela t’appartient. Des détails que les gens ne peuvent pas comprendre mais qui pour toi ont une signification.

Oui. Carrément. Je ne le dis pas car certaines œuvres sont accrochées chez des gens.

Quand on crée, que l’on montre à l’autre, il y a aussi toute une partie que l’on cache, où l’on dit ou non à l’autre que l’on cache, qui est là. L’autre parfois s’en empare et d’ailleurs on est parfois surpris.

Tu disais que le nounours était assez sage. Est-ce que certaines collaborations l’ont fait dévié de sa route ?

Carrément. Il s’est retrouvé embarqué dans des délires. Le but des collabs, c’est que mon perso aille jouer avec le style des autres. Des fois avec Larrivaz, il se retrouve avec des têtes de bite, avec des corps de vagin. C’est le style de l’autre. Il dévie carrément. Même pour Art Curial. On a fait un cube avec des nanas à poils. Pareil c’est le jardin de Larrivaz où mon nounours est parti, cueillir des fleurs on va dire.

Les collabs, cela sert à ça, mélanger des styles. Moi et un autre. J’aime beaucoup. J’en ai fait une tripoté. Je suis collectionneurs de ça presque. C’est ma partie apprentissage, je vois comment les autres font.

Est-ce juxtaposer deux univers ou les fondre l’un dans l’autre ?

Ça pourrait être tout ça. Il y a plusieurs types de collab.

  • Soit tu dessines avec la personne sur le coup. Soit on s’envoie les dessins et on travaille à distance.
  • Ensuite il y a ceux où on a une idée précise de ce que l’on va faire ensemble, comme avec Paella. Ou comme avec Codex, où on fait free style sur le coup. Je mets mon truc, tu mets ton machin. On les envoie dans le désert, sur un terrain de boxe.

C’est un peu comme ça. Ça dépend avec qui tu fais la collab. Ça dépend de plein de trucs, du temps, du pourquoi, une expo, un collage.

En préparation j’ai une collab avec Gregos. Là, il me passe son support et je me démerde. Là j’ai tout type de collab en préparation. Ou tu fais ce qui t’enchante sur le support de quelqu’un. Ou tu fais à distance comme avec le Lapin Bleu. Il est en Normandie. On a fait de loin. J’ai une collab de prévu avec Kelek, où on va dessiner ensemble.

Est-ce que cela te permet de te confronter à d’autres techniques, d’autres méthodes, à apprendre ?

Le truc c’est que je m’incruste dans le support et la méthode des autres. Quand je fais avec Dudy, je veux que ça soit comme elle fait d’habitude sur le fond kraft. Avec ma méthode, je détoure bien. Codex, c’est pas pareil parce qu’il ne fait pas de collage. Par contre je l’ai laissé choisir le découpage. C’est pour ça qu’il y avait tout le kraft marron autour. Paella pareil. Quand on le fait dans des trucs en cadre, c’est que cela vient de lui.

Tu t’amuses beaucoup dans cet échange. Est-ce qu’il y a des collaborations que tu aimerais bien faire ou refaire ?

Il y en a. Avec Monsieur Chat. Je suis de cette famille là, de street artiste. Personnage et placardage. Fafi, Miss Van, Toctoc j’aurai bien voulu. Sinon des collabs habituelles que j’aime bien : Codex, Paella, Dudy, Bea Pyl. En fait tout le monde ou presque. Zoulette aussi, une nana de Montpellier. On devrait s’y coller bientôt.

S’il y avait une question à poser à un autre artiste, via ma personne, à qui et que lui demanderais tu ?

Je ne sais pas du tout.

Quand est-ce que vous venez collaborer avec moi ?

Oui déjà. Je n’ai pas d’idée. Je suis à sec.

Pour te raconter par exemple ce que d’autres ont demandé, Codex lui se demandait comment les autres artistes faisaient quand ils loupaient une prod. Cela pouvait lui arriver à cause de l’alcool.

Je lui dirais d’arrêter de boire.

Pour dan23, c’était Pourquoi vous faites ce que vous faites ? Mais c’est bien aussi de ne pas avoir de question.

Peut être qu’elle viendra plus tard.

(Plus tard, il a trouvé la question) A Paella : pourquoi il ne veut pas qu’on le catégorise Street artiste ?

Cette question divise pas mal. Enfin c’est le sentiment que j’ai.

La vraie question est comment on catégorise quelqu’un Street artiste. Surtout est-ce que les graffeurs comptent ou pas ? C’est un faux débat. On s’en fout tellement. Cela ne reste que des appellations.

C’est donner un nom. Il y a ceux qui le font et ceux qui regardent et qui nomment les gens.

Je pense que Paella y répondrait bien car il a vu l’arrivée du graffiti, du Street art.

Niveau financier : Est-ce que tu vis de ton art ? Ou est-ce qu’il y a un à-côté ?

J’expose et je vends des dessins que depuis 1 ans. Là ça va. Moi je suis un ancien clochard. Donc avant je ne mangeais pas du tout. Là quand je gagne un peu ça me fait plaisir. Que les gens aiment bien mes dessins au point de les acheter. C’est un grand kiffe. Je le faisais pendant des années gratuitement. Donc je me dis que ça a de la gueule, ça a de la classe. J’ai de la chance.

Dans l’expo In & out, je terrais des noms encore mais il y en a qui faisait les stars. Je leur disais « arrêtez de vous plaindre, de chouiner, parce qu’il y en a plein qui n’ont pas la chance d’exposer, de vendre des dessins, d’avoir des gens qui les suivent ».

Là, j’en vis. Un peu. Je suis loin d’être milliardaire. Je galère encore plein de fois pour acheter des Poscas, des cadres. J’ai arrêté de travailler, j’étais serveur ici. Je passais le balai. Je faisais tous les trucs. Repeindre les tags tout autour.

D’autant plus, après ton parcours personnel, d’où tu viens, cela te fait apprécier ce que tu as aujourd’hui, ce que cela t’apporte, humainement aussi.

Je m’occupais de personnes handicapées. Ma première expo, je l’ai faite pendant ma formation. Depuis que j’ai eu mon diplôme je ne travaille plus. A un moment j’étais encore en formation, je travaillais, j’allais à l’école, je faisais mon expo et je travaillais au black ici. Je commençais à me sentir pas bien. J’ai arrêté tout et je n’ai conservé que le côté expo. Comme un flémard. J’ai pris le truc le plus facile que je savais faire. A un moment, je n’arrêtais pas. Je ne dormais pas. On m’appelait toutes les 10 secondes. J’étais perdu. A qui j’ai dit ça, à quelle heure. Je me souvenais plus. Puis, j’ai fait ma deuxième expo puis troisième, quatrième.

Blague à part j’ai garder le côté passion, mon rêve de gosse, faire du dessin. Je n’ai  pas mis les trucs relou d’un autre côté parce que m’occuper des personnes handicapées j’ai envie d’y retourner. Je fais encore des sessions de bénévole pendant les vacances.  J’emmène des gens en colonie et je ne suis pas payé. Cela me fait voyager. Ça me permet de coller ailleurs dans la France.

Depuis quelques années, tu exposes. Est-ce que par l’intermédiaire des Frigos cela t’a permis d’exposer ce que tu faisais ? Est-ce que l’on est venu te chercher pour exposer ailleurs ? Est-ce que c’est toujours des expos collectives ou as tu fait une expo solo ?

La vérité c’est que j’ai fait qu’une expo aux Frigos. Tout le reste c’était à l’extérieur. Une au centre d’animation en face. Sinon il y a eu les portes ouvertes des Frigos, que je n’ai faite qu’une fois en 6 ans ici. Je suis appelé ailleurs. Tant mieux cela me fait bouger. Là je suis appelé jusqu’à Marseille, c’est cool. Cela va être dur à préparer mais c’est bien.

In & out, c’était il y a un mois. J’ai vu quelques clichés sur le net. Vous étiez au moins 7-8 artistes, c’est ça ?

On était 8. C’est moi qui aie organisé ça. C’était dans la galerie des Frigos où je travaillais avant. Il était question d’une expo perso. Moi je n’ai jamais fait ça. Et je ne pense pas que cela arrive de suite. Je leur ai dit non. Mais par contre j’organise tout et on fait une collective, je choisis les autres. ça c’est bien passé. Ça a bien marché. Nickel.

En avoir une tout seul et être sous les feux des projecteurs, cela va me faire bizarre. Je ne suis pas encore habitué à ça. J’ai préféré ne pas faire une perso ici. Déjà parce que je voulais que ma première perso se passe au Cabinet d’Amateur. C’est lui qui m’a exposé en premier. Finalement ça serait bien que ça soit là-bas, pour la petite histoire. Je m’y sentirais bien. C’est là-bas que j’ai le plus exposé, 3-4 fois.

Les personnes sont venues facilement dans ce projet là ? Cela n’a pas été compliqué à gérer ?

A gérer cela a été tout un truc. Tout un tralala. 8 personnalités, 8 relou, 8 stars. Blague à part, je les aime bien. J’ai pris des gens avec qui j’avais collaboré. Je suis un fan de Bea Pyl à la base. Je kiffe ces puzzles dans tous les sens. On avait une collab en cours à faire. C’est comme ça que l’on s’est rencontré. Tant qu’à faire, je voulais qu’elle soit là. Y’a que Valérie Maho que je ne connaissais pas. Y’a que Dilian avec qui je n’avais pas collaboré.

On imagine quand on parle expo, galerie, que quelqu’un choisit un ou des artistes. Là tu avais les deux casquettes, à choisir les autres et à être présent en tant qu’artiste.

Ce qui s’est passé c’est que j’étais en ce moment à la galerie Moretti-Moretti. Cela marchait bien. Je me suis retrouvé d’un coup d’un seul avec Mesnager, Brain watch, que des stars. Cela me faisait un peu bizarre. J’étais le seul jeune inconnu du paquet.

Je me suis trouvé là à mettre en place cette expo et je me suis dit que l’on allait faire un truc anti-star. J’avais une liste longue comme le bras d’artistes que j’aimais bien. Je me suis dis que j’allais donner la chance à des gens qui n’exposent presque pas, qui ne sont pas en galerie. Il me fallait quand même quelques têtes d’affiche. C’est pour ça que Codex était dans le paquet. Je me suis mis, moi, des contraintes. Pour trier dans la liste que j’avais. Il y en a beaucoup qui seraient surpris d’apprendre qu’ils étaient dedans, j’en suis sûr. Je ne dis pas qui.

Cap Phi de Lyon n’a jamais expo en galerie. Encore moins ici. Je l’ai ramené comme ça. On avait une collab en cours. Je l’avais vu lors du projet Venus. Je lui aie dit «  viens mon coco ». Il a remplacé quelqu’un qui s’est désisté. Bea Pyl. Dilian pour montrer des styles différents. Je suis content de tout. Des artistes. On a fait 2 vernissages. Je leur ai demandé beaucoup. On a fait des collabs sur les murs dans les couloirs. On s’est bien débrouillés. Je ne voulais pas faire une expo de baltringue, à l’arrache.

C’était chez moi. Il y avait déjà tous mes dessins partout ici. Je voulais les mettre en avant et qu’ils cartonnent. J’espère que eux ils sont contents en tout cas. J’étais content de les avoir pris eux et pas d’autres. Même s’ils ont été relou plein de fois.

Le regard des gens qui sont venus, les retours avaient l’air d’être positif. C’était un beau défi de faire vivre ce projet, d’aller au bout, autant de temps. Parfois certaines expos durent un week-end, là c’était sur une sacrée amplitude.

Pendant les vernissages, certains m’ont dit que c’était la meilleur expo du début d’année. Quand tu sais qu’il y avait de grosses expos à côté, tu te dis que ça avait de la gueule. Mais nous, on avait un côté sympa. J’ai pris des gens qui ne sont pas des stars. C’était cool. Bon ambiance. Cela buvait des verres. On a rempli la salle pour les 2 vernissages, tous les dimanches c’était blindé. Personnellement j’ai presque tout vendu. A deux dessins près. Valérie Maho, elle a cartonné. Franchement les ventes ont été bonnes, les retours aussi. Tout a été bien.

Le côté internet. Voir tes œuvres taggués, partagées dans les réseaux sociaux, commentées, est-ce que c’est quelque chose sur lequel tu t’appuies ? Qui te plait ? Tu es sur Facebook, est-ce que cela te permet de maintenir un lien ?

C’est assez sympa.

Ce que les gens disent ? Comment les gens présentent tes nounours ?

Moi je n’ai pas trop de partages, de like. Pas tant que ça. Faut que je regardes, mais je crois pas. Après dans les coms, je n’ai pas des trucs géniaux. A part la fois où j’ai mis la photo de fesse, de body painting, où ça a enflammé tout le monde. Là j’ai eu droit à des débats à la con, idiot en plus. Sinon cela reste calme. J’ai pas de relou.

Tu prends forcément tes œuvres en photo quand tu les as collé, sans les mettre à chaque fois sur internet.

En collage je les ai tous. Ils ont un numéro. Il faut le savoir. Celui-là (en montrait un nounours sur le mur) c’est le 69. Je le sais. Je continue à les prendre en photo. Moi j’ai la collection complète. Sur Facebook, ils n’y sont pas tous. Je mets juste ceux que j’aime bien. Les body painting je ne les mets pas tous non plus. Je mets mes préférés. Y’en a plein de foiré que je ne mets pas. Les collabs, je les mets toutes. Parce que là c’est par rapport au respect de la personne avec qui j’ai fait la collab, que je la montre. Là y’a pas de raté ou pas, parce que je ne suis pas tout seul. Ce n’est pas mon jugement qui compte vraiment.

Est-ce que, via ces réseaux, tu as pu rentrer en contact avec des gens ? Est-ce utile comme outil ?

C’est efficace. C’est instantané. Plein de commande je les ai là dessus. Même des expos. On me les propose sur Facebook.

De loin parfois ?

Ceux de Marseille. Ou le projet Vénus. Ils ont recruté tous leurs artistes sur Facebook. Mais c’est bien. Tu peux taper un nom et lui envoyer un message. Alors que tu n’as pas son numéro de téléphone pour lui envoyer un sms. Quelque part c’est bien et c’est pas bien. Pour ma part, je n’ai jamais eu de souci. Mais peut être que des fois y’en a que ça n’arrange pas.

C’est pour ça par exemple que pour le body painting je n’identifie jamais les modèles. Je ne dis pas le non de 2-3 creuvards, avec qui je me suis embrouillé y’a pas longtemps, mais qui m’ont envoyé les photo de body painting en me disant « qui c’est ? On veut son numéro ». Ils croient que c’est le marché. Le respect de la femme pour les féministes qui m’ont embrouillé je pourrais déjà leur renvoyer ça. Blague à part j’identifie pas les meufs, pour ne pas qu’on puisse cliquer sur leur nom, leur envoyer des conneries. Ça je ne le fais pas.

Au niveau du cadrage, on ne peut pas les reconnaître.

Des fois on les voit. Mais c’est rare. Y’a pas leur nom avec un lien et voir ce qu’elles font dans leur vie, leur envoyer des messages, les rendre folles. Ça je ne le fais pas.

C’est rigolo, d’un côté il y a les mecs relou qui aimeraient savoir à qui appartient ce corps et d’un autre côté, sorti du contexte, une photo qui est commenté par les féministes.

Oui j’ai droit à tous les casse-couilles de ceux qui ne sont pas contents de ma photo à ceux qui sont trop contents.

J’imagine que c’est des sujets de cristallisation. L’utilisation du corps de la femme notamment pour les féministes. Mais c’est dommage de se dire que peut être là le contexte est oublié. Si on explique que ce sont elles qui ont choisis l’endroit, ce que tu allais dessiner, la polémique n’aurait pas lieu.

C’est juste un dessin. Il n’y a pas tant de blabla autour de la photo d’un nounours, collé sur un caillou. Après oui, c’est arrivé une fois, sur une seul photos, une des dernières. Je ne sais pas. C’est comme ça.

On est dans un monde où il y a des photos de lingerie dans le métro ou des films de cul sur Canal + et tu viens me raconter dans mes coms ta vie. Je trouve ça ridicule aussi. On est dans un monde où il y a des pédophiles et des violeurs. Cela existe. Et on vient me parler d’image dégradante de la femme sur une photo de body painting. Cela fait beaucoup pour rien. Je m’étais un peu énervé dans les coms. En même temps je m’étais levé un matin et j’ai vu que plein de gens, dont Codex, sont venus raconter leur vie en pavé. Le truc qui a fait que j’ai donné une réponse, un peu sèche en gros « fermez vos gueules, on n’est pas au salon de thé », c’est que même en message privé, j’avais plein de gens qui me racontaient leur vie, qui me disaient que c’était con de réagir comme ça. Déjà la modèle en question. Je voulais qu’ils arrêtent. Dès le matin, dès que je me lève, ça faisait beaucoup.

Dans le projet Vénus, on avait mis une centaine de meuf torse nu ça n’a gêné personne. Là j’ai pas mis une meuf torse nu donc ça va.

Si tu avais un style, un groupe de musique ou une chanson à nous conseiller :

J’écoute du rap français. Je sais c’est la honte. Je le sais. Je conseillerais du Keny Arkana. Surtout une « j’ai osé ». Je suis très Scred connexion, un groupe du 18ème, qui sont pour moi les meilleurs. Je conseillerai aussi Casey une nana du Blanc Mesnil que j’aime bien. Ces 3 là c’est bien.

Si tu avais un lieu où boire un verre, où manger :

Venir à l’aiguillage aux Frigos. En même temps c’est une galerie. Tu viens au restaurant et tu as une exposition. Venir là tout le temps. Ici c’est bien. J’ai travaillé ici. J’ai exposé ici. J’ai dormi dedans. J’ai fait des travaux. Il y a des chances que l’on me croise ici.

Si tu avais un coup de gueule, un message à passer :

Je sais pas trop. On est dans un monde où les gens pensent qu’à leur gueule à eux. Mais bon tu vas pas dire mon coup de gueule arrêtez de penser qu’à vous. Parce qu’ils vont bien se foutre de ta gueule. L’individualisme de notre société. Les gens choisissent parfois même pas ce qu’ils pensent, ce qu’ils veulent. Tu ne peux pas comme coup de gueule leur dire arrêter d’être des moutons. Ils ont tous les intérêts à être comme ça.

La seule chose serait de dire soyez comme vous êtes, pensez par vous même. C’est déjà pas mal. Ne pas pensez qu’à l’argent.

Si tu avais un film, un dessin animé, un jeu vidéo à nous conseiller :

Tellement de dessin animé. Sinon dans les jeux vidéo, il y a Batman. Sur la Play 3. Sinon niveau dessin animé, il y a les classiques : Aladin, Fantasia. Un Disney avant de se coucher c’est toujours cool.

Si tu avais un voyage à faire :

En Allemagne. Hambourg. Berlin. Ça a l’air cool.

Si ton nounours avait quelque chose à te dire :

Quand est-ce que tu me fais une p’tit copine ?
Il a que des potes lapins. Il se fait déchirer par son ex. Mais il n’a toujours pas une meuf.

Si tu avais une question à me poser, où tu étais assuré que je réponde et que je te dise la vérité, tu me demanderais quoi ?

Je ne te connais pas. Ton site, tes interviews, pourquoi tu fais ça ?

Alors le site cela fait un mois qu’il existe. Cela fait un moment que j’y réfléchissais. D’un côté c’était pour présenter ce que je fais. De la photo. De l’écriture. J’ai autoédité des livres. Pas facile de faire vivre cela. Pas facile d’utiliser Facebook pour être une vitrine. Donc il y avait l’envie d’avoir un truc à part.

Au niveau du Street art et des interviews, je commençais à accumuler beaucoup de photos, je m’y intéressais de plus en plus. En me baladant, avec des gens, j’aime beaucoup rendre la balade utile. Il y a tellement à voir, à regarder. Cela me plait de rendre les gens curieux. Au fur et à mesure, j’en apprends davantage sur les artistes. Je joue le rôle de passeur avec ces gens là. Arriver à les intéresser, qu’ils se fassent leur propre opinion, qu’ils comprennent l’univers, qu’ils puissent voir l’envers du décor. J’aurai bien aimé avant qu’il y ait ce déferlement sur ta photo sur Facebook d’avoir pu sortir cette interview pour que les gens se rendent compte de l’intention, de voir le cadre et la manière dont cela a été fait. Jouer le rôle de passeur, de lien. J’ai beaucoup voyagé quand j’étais jeune. Cela me donne envie d’aller vers l’autre, de tendre une main. Et là, je le fais avec des artistes de Street art. Des artistes que j’aime bien déjà. De respecter strictement ce qui a été dit. Transcrire. C’est important car je ne veux pas vous faire dire n’importe quoi, je ne détourne pas vos propos en fonction de ce que moi j’ai compris, de ce que j’ai envie de comprendre. On m’a dit que c’était long. Mais pour moi c’est normal. Si les gens ont envie de piocher cela ne me déplait pas. A terme, j’aimerai beaucoup faire l’inverse, créer le pont dans l’autre sens. D’aller chercher des gens, de voir leur réaction face à des œuvres, de les interroger eux sur ce qu’ils voient. De permettre une rencontre.

Et une autre question admettons. Tu aimerais interviewer qui ?

Là actuellement j’aimerais beaucoup interviewer des femmes. Pour contrebalancer. J’ai fait un sondage autour de moi, auprès de mes amies, de ma famille, en France ou à l’étrange, et ils ont des difficultés dans le Street art a cité déjà des noms d’artistes, et ceux qu’ils vont donner sont principalement des hommes. Mise à part Miss.Tic. Et puis après les personnes me disent qu’en fait ils n’y connaissent rien. Qu’ils ne sont pas en mesure des fois de savoirs si c’est une femme ou un homme derrière l’œuvre. Aujourd’hui il y a deux artistes : Vinie et Kashink. J’aimerai bien commencer par elles. S’il y a des interviews, je suis aussi spontanée. Je me laisse porter. Je ne vais pas faire une crise si la prochaine interview est d’un artiste. De toute façon, chaque interview vit sa vie, elle prend le temps d’exister. Pour l’instant je suis au chômage, j’ai du temps à consacrer à ça. Je ne sais pas si après j’arriverai à suivre le rythme, d’une interview à peu près tous les 15 jours.

C’est bizarre. Tu disais que les femmes étaient moins connues. Je ne pensais pas qu’il y avait une différence là dedans. Je n’en suis pas sûr. Surtout que mes préférés sont des nanas, comme Bea Pyl.

Les personnes vont identifier quand elles sont dans la rue les mêmes choses, se dire que cela doit être le même artiste. Ils ne mettront peut être pas de nom sur ces œuvres, ne chercheront peut être pas à savoir qui se cache. Quand je parle de personnes éloignées du Street art, je pense à ma famille, certains amis, des anciens collègues, des personnes qui viennent de l’éducation nationale, de centres sociaux. Ils en connaissent certains. Il est difficile en plus de dire sur certaines œuvres de savoir si c’est un homme ou une femme derrière. Surtout dans certain univers. On pourrait par exemple se dire que les nounours sont l’œuvre d’une femme.

Il y en a qui croyait ça.

Après, je pense que dans l’inconscient collectif le Street art est associé à un milieu masculin. Parce qu’ils ont l’image du graffeur. J’avais envie à des moments de faire découvrir de tout. Par contre ce n’est pas parce que c’est une femme qu’elle sera plus mise en avant. C’est parce qu’il y aura eu une belle rencontre et que l’on aura pris le temps, que j’aurai plaisir à le partager.

Après avec Codex, on s’est croisé plein de fois. Je me suis dit que cela pourrait être marrant de faire la 1ère interview avec lui. Il a joué le jeu. Cela m’a permis d’être détendu. Je me suis laissé porter par ça. Je me suis dit que j’avais rencontré quelqu’un de bien marrant, que j’aimerai en savoir plus. Je n’ai pas envie d’être dans le quantitatif. Je n’ai pas d’ambition pour mon site qu’il soit une référence. J’ai envie de me faire plaisir. Des personnes m’ont demandé si j’allais vendre mes interviews. Pour l’instant, non. J’ai juste envie de les partager. Je souhaite que les choses se fassent, au rythme où elles doivent se faire. Il y a parfois le bon timing. Je me laisse porter. Et puis, avec certains, peut être que des choses se créeront après la rencontre.