Interview de Codex Urbanus

Rendez-vous vers la place du Châtelet. Il fait beau. J’attends au dessus des quais. Je le retrouve vers 15h45. Il doit faire un truc de son « autre » vie avant d’aller ensemble sur notre lieu d’interview. Nous avons choisi les quais de l’ile st Louis. Sympa. Au passage nous nous laissons tenter par une glace chez Berthillon. Pamplemousse rose pour l’un, ananas rôti au basilic pour l’autre.

Première interview pour moi. Je suis un peu inquiet, j’ai une fiche avec quelques questions. Vais-je être à la hauteur de mon invité et de ma mission?

Il est temps de s’y mettre. Surpris par mon parfum de glace, j’ose poser la première question. S’en suit un échange franc, avec un bon pote, comme si l’on ne s’était pas vu depuis un moment. Le soleil, le tableau qui defile devant nos yeux, le cadre est idéal pour nos échanges. 1h20 à rire et faire connaissance.

Je vous invite donc à découvrir l’univers fantastique et nocture de Codex Urbanus en écoutant Dead can dance.


Pseudo : Codex Urbanus

Age : 39 ans (il paraît moins grâce à un pacte avec le diable)

Site internet : http://codexurbanus.tumblr.com

1ere fois sur un mur : Mise à part les essais en étant gosse,  cela remonte à 2011.

Dernière fois sur un mur : à 3h30 ce matin ; en sachant que cela s’est arrêté quand une femme a crié depuis sa fenêtre du 3eme étage, « vous n’avez pas le droit de faire ça ». Comme elle a répété cette phrase plusieurs fois pour que je comprenne que c’était soit moi je partais, soit les flics arrivaient, je suis parti. Donc il y  a un Codex inachevé.

Lieux de prédilection : Le 18ème arrondissement parce que j’y habite. Il y a un côté pratique parce que peu importe où je me trouve au milieu de la nuit, je reviendrai toujours par là. Il y a également un intérêt culturel  car Montmartre est une ville musée. Le Street Art est un acte de modernité et de créativité au milieu de tout ça. Le troisième point, la mairie est très efficace à nettoyer les murs donc pour avoir un peu de présence il faut constamment les refaire. J’ai du en faire au moins 200 Codex. Depuis hier il doit y en avoir 7 que l’on peut voir.

C’est parfois cela qui me motive de savoir qu’il faut chercher par là. Histoire d’avoir un lieu de départ et ensuite de pouvoir se perdre. Cela permet de cheminer derrière les artistes.
Il y a un côté jeu de piste. De mon côté, je mets toujours sur internet les endroits où je pose. Certaines viennent à Montmartre et trouvent par hasard des Codex. D’autres viennent exprès et n’en trouvent pas, soit parce qu’ils n’ont pas fait les bonnes rues, ou parce qu’il y en a très peu. C’est comme les safaris, on n’est pas sûr de voir les grands animaux.

Définition : Le mot artiste n’est pas forcément celui qui viendrait en premier, parce que j’ai une attente tellement haute de ce qu’est un artiste que j’ai du mal à me considérer ainsi. Il y a trois ans, je n’aurais jamais dit que je faisais de l’art. C’est parce que d’autres gens se sont mis à me considérer comme un artiste que je me suis dit que ce mot correspondait à ce que je faisais quand même. On est sur des épaules de géants parce que, quand on dit artiste, on pense tout de suite à Van Gogh, Rubens, Dali. Difficile de rivaliser.

Codex Urbanus à la base c’est le nom d’un projet du bestiaire urbain.  L’idée était de présenter une chimère et de lui donner un nom, en mode grimoire médiéval. Au début le projet était signé avec d’autre pseudo. Les gens m’appelaient Codex. Et j’ai hérité du nom. Je suis aujourd’hui entré dans le rôle : je signe mes emails Codex, je me retrouve quand j’entends Codex.

Codex c’est quelqu’un qui crée à la marge. J’ai toujours dessiné et créé à des endroits qui n’étaient pas prévu pour, que ce soit des cahiers de classe, des notes de réunions ou des murs. Le Codex Urbanus est un projet donc il est amené aussi à évoluer. Prochainement, il y aura un nouveau concept : le Codex Circus !

Il y a pas longtemps j’ai participé au projet Inside out de JR. Deux filles derrières moi. La première se posait la question « est-ce qu’il est là » et la deuxième de lui répondre « Mais non il a des lunettes noires et un chapeau et y’a personne comme ça ». Elle avait retenu ces signes distinctifs. Il y a ce que parfois les gens vous collent à la peau…

Les artistes, comme les écrivains, ont vite tendance à jouer un personnage. Cela permet d’être moins impliqué quand les gens viennent critiquer votre art. Cela permet une distanciation, une zone tampon. D’où parfois les lunettes de soleil. Les personnes qui ont pignon sur rue finissent par développer un gimmick. L’idée est de trouver quelque chose qui te représente, qui est unique.

Raconte moi ton histoire : Qu’est ce qui est important de connaitre pour comprendre ton travail aujourd’hui? Quelles sont les étapes qui t’ont fait devenir Codex Urbanus?

Le kiffe de l’art, je l’ai depuis que je suis gosse. Ça a toujours été là. Codex, quelque part, a toujours existé. Cela avait lieu à la marge mais c’était présent. Les déclics c’est des événements et des prises de conscience ; notamment que je ne pouvais pas échapper à ça. Je suis né dans un milieu où ce n’était pas dans le champ des possibles de faire ça. C’était au mieux un hobby de retraités, au pire une manie à combattre. Donc très rapidement j’ai occulté ces capacités, ces envies là.

J’ai suivi plusieurs cursus, école de commerce par exemple. J’ai joué le jeu, un bon petit soldat. J’ai été le plus haut que je pouvais et malheureux comme les pierres. Cela a fini par exploser. J’ai été mis devant mes propres contradictions. Est-ce que je pensais vraiment pouvoir être heureux en faisant quelque chose qui ne me convenait pas ?

Il y a eu différents déclics : une fois que j’ai eu pris conscience que le monde de l’entreprise ne pouvait plus convenir, que ce monde économique qui ne m’intéressait pas, il a fallu que je me dise « qu’est ce que tu veux faire ? ». L’art n’était toujours pas dans le champ des possibles. Cela pouvait être n’importe quoi d’autre, comme ouvrir ma propre entreprise. Mais aucunement dans l’art.

Il y a eu le Burning Man, assez récemment. Je me suis retrouvé avec plein de gens comme moi, dans une ambiance de liberté totale, sans aucune restriction. D’un seul coup, tout devient possible. C’est comme si on explosait tes œillères et que tu pouvais voir à 360 degré. Là, je me suis dit « peut être pas en vivre mais se faire plaisir à faire ça ». C’est arrivé au même moment où je prenais conscience que tous ces dessins à la marge, que je faisais avant, je ne pouvais plus les faire parce que je n’étais plus à un bureau. Les nouveaux métiers que j’ai trouvé pour me nourrir m’emmenaient dehors, dans la rue. Il a fallu trouver rapidement une manière de sublimer cette pulsion, de pouvoir dessiner.

Le troisième point c’est des rencontres décisives, avec des personnes qui ne savent pas à quel point elles ont été décisives. D’un seul coup, elles ont mis le vandal dans le champ des possibles. J’allais à la campagne quand j’étais petit. Je viens d’un milieu aisé où toutes les conneries que tu peux faire à Paris quand tu as quinze ans, je ne les ai pas faites. J’ai rencontré Seyb, Da Cruz. Ils sont devenus des demi dieux pour moi. Après tout, je me suis dit « est-ce que c’est pas ça la solution? ». Le dernier déclic est que les métiers que je faisais m’emmenaient à sortir très tard la nuit à Paris, tout seul.

Tu compiles tout cet ensemble et tu comprends vite pourquoi, à un moment donné, j’ai sorti un Posca et j’ai fait un truc sur un mur. La page de dessin c’est le mur. Le moment à la marge c’est vers 2h, 3h du matin, quand tu sors de ton taf et que la ville est pour toi. C’est un moment de grâce.

Sans trop m’attarder sur le métier que je fais, qui me conduit d’être là au milieu de la nuit, mais il y a un côté thérapeutique. J’accumule pas mal de tension, de haine, de peur au fur et à mesure de mes missions et cela me permet de les évacuer. Il y a quelque chose de très libératoire. Avant cela pouvait exister car j’étais frustré dans ma vie.

As tu reçu un enseignement artistique ? 

C’est légitime de poser cette question. On a cloisonné l’art. On vit dans un monde d’expert. Aujourd’hui pour faire n’importe quoi dans ce pays, il faut une carte d’expert, avec le diplôme qui va avec. C’est terrible parce que ce n’est pas naturel. Clairement quand t’es artiste, t’est pas juste artiste ; tu dois t’imprégner d’autres viviers pour ensuite produire quelque chose. Je n’ai pas de background artistique. Mise à part les cours d’art plastique au collège et au lycée (gardé en option jusqu’au bac). Ce qui me crée un petit complexe. Du coup comme je fais ça à l’arrache, sur le tas, j’ai l’impression que j’ai des grands manques, que je dois être capable de faire des trucs parfaits, avec des perspectives. Finalement je ne me donne ni les moyens d’apprendre, ni le temps pour le faire. Après cela devient un peu ma signature aussi. Aujourd’hui comme tout doit être parfait, ce n’est pas désagréable de voir du fait maison.

Dans le Street art, je pense que tu vas trouver des deux : certain(e)s auront un formation artistique, qui l’expriment dans le rue, d’autres qui vont venir de milieu différent et qui utilisent la rue, plus comme je fais moi, comme un exutoire. Kashink disait à peu près les mêmes choses dans une interview dans 20 minutes.

Quels sont les outils, les techniques que tu utilises ?

J’utilise des marqueurs à peinture. Des Poscas mais pas que.  D’ailleurs si un sponsor veut m’aider. Je les ai toujours avec moi parce que je ne sais jamais quand je vais créer. C’est pratique. J’adorerais faire des choses à la bombe car tu peux couvrir des plus grands surfaces. C’est une technique que je n’ai pas du tout et qu’il faudrait que j’acquière. Mais c’est quand même encombrant. Difficile de se balader avec ses bombes en sortant du boulot.

Est-ce que tu prépares en amont ou est-ce spontanée ?

Non. Dans la journée je peux parfois imaginer et me dire que cela pourrait être rigolo de croiser un cerf avec une limace. Quand cela a lieu, dans les 3 prochaines bestioles que je dessine, il y aura celle là. Mais en général, quand j’arrive en face du mur, c’est là que je me dis « faut que je fasse ça ». Hier, il y a eu brochet-ranatre, un suricate-sèche et un escargot-lion de mer. Je n’avais pas la moindre idée que j’allais faire ça quand je marchais à 1h30 du mat dans la rue.

Est-ce que c’est déjà arrivé d’utiliser le relief d’un mur dans ton dessin ?

Une fois. Il y avait des cassures sur le mur. La taille, la forme d’un poisson qui saute, ça pouvait être un poisson-ours. J’ai fait cela au passage des Abbesses. C’est la seule fois où j’ai suivi des contours existants. Je travaille toujours là où c’est peint et repeint par la mairie de Paris parce que sur les bâtiments en pierre de taille je trouverais ça dégradant pour mon travail et pour l’architecture. La mairie de Paris me fait mes après, avec une jolie surface, plutôt lisse, unie.

Le mode opératoire ?

Que de nuit. Le jour, il y a trop de passages, trop de monde. Quand t’es Street artiste, vandal, tu as plusieurs ennemis :

  • le mauvais coucheur, qui se met à hurler parce qu’un type fait un dessin sur leur mur. Tu as moins de chance de le croiser la nuit.
  • La police. Faut pas oublier que c’est un délit de peindre sur un mur. En journée, les brigades à pied sont très furtives. Les voitures de flic, la nuit, n’est pas un grand danger. Tu t’arrêtes simplement à chaque fois qu’il y a une voiture qui passe.
  • Tous les autres passants
  • Un ennemi également c’est celui qui te fait chier pour avoir un Posca, qui veut faire pareil que toi. Lui par contre il est plus souvent présent la nuit. Une fois, un mec m’a dit « c’est illégal ce que tu fais donc passe moi ton Posca maintenant pour que je le fasse aussi »

Est-ce que tu repères parfois des nouveaux lieux ?

Oui. Surtout à Montmartre où l’urbanisme est un peu bâtard : entre le petit village, l’immeuble ouvrier, des vides, des grands murs. Je suis loin d’avoir épuisé les endroits où je peux me poser. Et puis après il y a les lieux où j’ai l’habitude de me mettre, et où je suis effacé régulièrement. J’ai l’impression de faire le bien en dessinant. Déjà cela me fait du bien. Et Montmartre a besoin de ça, d’un art irrévérencieux. C’est aussi ça le Street art. Quand tu vois des touristes qui se prennent en photo devant une de tes bestioles, tu trouves ça cool.

De ce que je vois, Codex Urbanus c’est une juxtaposition d’animaux qui crée un monstre, un personnage chimérique. Est-ce bien ça?

Le principe c’est de créer des animaux qui n’existent pas. Je n’ai jamais fait pour l’instant d’animal bicéphale. J’ai toujours adoré dessiner des animaux, des insectes et je voulais un truc déclinable. Ce qui m’intéresse dans le Street art c’est de pouvoir me faire plaisir en faisant quelque chose de nouveau à chaque fois. C’est un codex au sens classique, c’est à dire un manuscrit de dessins ; Urbanus car au lieu d’être sur un parchemin c’est sur des murs de bêton.

La codification et le nom à chaque fois, cela fait partie du Codex?

Les noms viennent expliqués de quoi il s’agit. Ensuite il y a toute la symbolique que l’on peut attacher au fait de nommer, étiqueter, ranger, et d’avoir des bestioles mutantes. Je laisse à chacun le soin d’aller chercher dans ses tiroirs les significations de tout ça. Dans quelle mesure, c’est une apologie ou une critique.

Cela fait penser au cadavre exquis.

C’est un peu le principe. Dans ma tête, j’ai une fonction random qui me sort deux animaux, la tête de l’un et le corps de l’autre. Par contre, il n’y a pas de règle dans la construction du monstre. Cela fait partie du plaisir pur que je recherche. On souffre énormément d’avoir une chose parfaite, selon des règles. A ce niveau là, je suis hors la loi, hors temporalité. Je fais bien ce que je veux. Si à un moment donné, je me dis que je vais croiser des objets ou des plantes, il n’y a rien qui m’en empêche. Un jour cela viendra quand j’en aurai assez de croiser des animaux.

Utiliser un pseudo : c’est pour mieux se cacher ou se montrer ? Est-ce confortable pour dissocier le pseudo du vrai nom/prénom ? Ou as-tu à un moment envie de rattacher tout cela ?

Le rattachement se fera par la force des choses. C’est une activité parmi tant d’autres. Une sorte de rayonnement autour d’une personne. Plein de gens ont des éléments constitutifs de qui je suis réellement derrière ce pseudo. Si tous les morceaux du puzzle sont mis ensemble, cela rajoute Bruce Wayne à Batman. Cela crée la légende.

Un pseudo c’est très confortable. Cela permet de prendre des risques sans mettre en danger d’autres choses, notamment professionnelles. Je ne pourrais pas mettre mon nom sur ce que je fais. J’ai besoin d’avoir un pseudo. Et cela permet de créer un personnage tampon. Il est là pour expliquer et prendre les coups. Même si je dois reconnaître que, de toutes les activités que j’ai, l’activité artistique est l’un de celles où on me laisse le plus tranquille. Après tu peux facilement prendre la grosse tête, surtout si à côté tu te prends plein de critiques.

On a presque tous aujourd’hui des pseudos. Il y en a plein dont on ne trouve pas le nom et prénom sur internet. C’est un peu comme un bal masqué où on peut se permettre de déconner, de dire ce que l’on veut. Il y a une très belle émulation. Je trouve que l’on a dans le Street art ce qu’il devait y avoir dans les années 1860 autour de l’impressionnisme. Avec des gens plus expérimentés, plus célèbres, et d’autres plus jeunes qui gravitaient autour. Chacun apportant sa pierre. Il y a des collaborations sympas.

La dimension politique : tu donnes à voir sur les murs de la cité des choses, tu interroges les passants, les habitants. Est-ce que ce rôle là est important pour toi ?

Je ne me pose pas la question dans cet ordre là. Je suis personnellement engagé politiquement mais je ne fais pas partie de ce gens qui pensent que l’art doit être forcément engagé. Franchement, c’est un peu le moins disant pour l’art de rue l’engagement politique;  le gros de ce qui se faisait sur les murs de manière vandal c’était de la politique.

Ce qui est plus intéressant c’est d’apporter une certaine poésie, une certaine beauté. Au départ le plus important pour moi c’est de me faire plaisir. Après c’est hyper gratifiant quand je vois des gens qui s’arrêtent, qui regardent mes bestioles. Comme j’habite le quartier, j’assiste à tout ça. C’est un peu la cerise sur le gâteau. Parfois certaines personnes avec qui je discute me parlent de bestioles qui ont disparu et qui leur manquent. Et bien à moi aussi elles manquent.  Ça aussi, c’est en or.

De mon côté, quand je me balade et que je tombe sur une de tes nouvelles créations, je me demande toujours ce qu’il y avait avant. Parfois je me souviens de ce qu’il y avait…

Il y a des nouveaux murs qu’il faut que j’essaie. Et il y a ceux que j’ai parce qu’ils ont une exposition, parce qu’ils sont moches et deviennent beaux à partir du moment où je fais quelque chose dessus. C’est important aussi d’avoir pour les gens un rendez vous arrangé, pour que lors du safari ils voient quand même quelques animaux. Rue Norvin, rue planquette, escalier du calvaire, escalier du Mont Cenis, y’a quasiment toujours un Codex sur ces 4 spots.

Est-ce qu’il y a eu des rencontres avec d’autres artistes qui t’ont apporté quelque chose ? De la technique ? Des virées ensemble ?

Hier, j’étais en train de faire le suricate-sèche dans l’escalier du calvaire quand je vois deux personnes qui descendent. Et bien c’était la Bomba avec un ami qui posait des bombettes à droite, à gauche. On a passé 1h30 à taquiner les murs en discutant et en se marrant. Jusqu’à ce que cette femme me lance un saut d’eau froide verbale depuis le 3ème étage. Des petites virées comme ça, il y en a eu avec Shadee, avec les Mental-links, avec Oré et j’en oublie. Au niveau technique, je n’avais jamais collé. Les premiers qui m’ont fait collé c’est les Mental-links. J’ai fait rapidement des trucs sur papier et j’ai fait mes premiers collages. Cela reste beaucoup plus longtemps que ce qui est dessiné sur les murs.

Le prochain projet est du collage. Je me rencarde en ce moment auprès du plus grand colleur de Paris, Fred le chevalier. C’est une peu mon Jedi, plein de bons conseils.

C’est facile ou pas de travailler à deux ? Est-ce que cela s’est fait suite à une rencontre ? Est-ce cela demande une organisation particulière ?

La première collaboration c’était avec Bastek. Un mur hommage à Run, le dessinateur qui a fait Mutafukaz. On avait repéré avant. On avait une idée précise de ce que l’on voulait faire. J’avais préparé des pochoirs, lui des toiles. Par la suite, ça c’est fait à l’arrache. Mon plaisir c’est d’y aller. Avec Oré, on avait acté un peu le principe de ce que l’on allait faire mais ça c’est fait vraiment sur place. Avec Shadee, je suis allé chez lui. On ne savait pas du tout ce que l’on allait faire. Ça c’est fait au dernier moment.

S’il y avait une question à poser à un autre artiste, via ma personne, à qui et que lui demanderais tu ?

J’aurais pour chaque artiste plein de questions à lui poser. Cela m’arrive de rater des prods parce que j’ai parfois trop bu. Et bien je me demande : comment font-ils les autres quand il/elle rate des trucs ? et pourquoi ont-ils/elles raté ?

Niveau financier : Est-ce que tu vis de ton art ? Comment se répartissent les activités professionnelles pour mener à bien le côté artistique ?

Je rentre peu d’argent avec l’art. Pas assez pour vivre. Ceci étant, à terme, c’est quand même le but.  J’espère que cela va être amené à se développer, d’une part à vendre plus de chose et de les vendre plus chères. Il y a plein d’autres moyens de gagner sa vie avec l’art.

En revanche pour ce qui est du temps, c’est un véritable investissement. Aujourd’hui, je n’ai pas de week-end. Je bosse environ 80h par semaine si on compte le travail artistique. Soit je bosse pour de la tune dans des boulots alimentaires, dans lesquels je me fais quand même plaisir. Soit je dessine sur les murs. Soit en train de préparer des expos, d’autres projets parce que j’écris par exemple. Tout cela se rajoute. Je suis hyperactif. Cela fait des grandes semaines et des nuits très courtes. Il faut savoir parfois lever le pied d’ailleurs.

J’ai plusieurs tafs. Un où il s’agit de parler devant des gens et de leur raconter des histoires pendant une journée entière en marchant. Tu ne peux pas te permettre d’être fatigué. Il faut assurer. En même temps je me fais tellement plaisir sur tous les tableaux, que cela donne des ailes. Je suis peut être un peu camé par ça, je m’en rends pas compte.

Est-ce que cela s’alimente ? Est-ce qu’une partie vient questionner une autre ? Ou est-ce assez cloisonné ?

Une de mes activités peut être traumatisante. Il y a un lien direct avec le fait que je dessine sur les murs comme exutoire, comme thérapie.  C’est un cercle vertueux. Cela me permet de sublimer l’agression que j’ai subie pendant la journée dans ce travail là et me redonner la force de m’y recoller le lendemain.

Je travaille dans la rue, dans Paris, dans des endroits splendides. C’est très inspirant pour un artiste, d’être dans les musées par exemple. Tout ça est assez bien construit globalement. J’ai un équilibre que je n’avais pas du tout quand je suivais les rails que l’on avait mis sous mes pieds. Avant je travaillais moins, je gagnais plus d’argent mais j’étais malheureux. Là je travaille comme un damné, je gagne moins d’argent mais qu’est ce que je suis heureux. Il faut en profiter tant que c’est là. Ma seule hantise c’est d’attraper une maladie ou un truc qui m’empêcherait de vivre tout ça. Pour l’instant tout est bon et il faut croquer tout ça.

Est-ce que tu exposes ? Si oui, est-ce que tu y trouves ton compte à être exposé ?

Je n’ai pas du tout peur du monde de la galerie et du marché de l’art. Notamment parce que j’ai fait des études plus du côté marché que du côté art. Tous les rouages je les connais (le marketing,…). C’est l’occasion de montrer autre chose. Ce n’était pas naturel de faire sur les murs ; au départ je faisais sur papier. Les médias et les supports étant différents, la galerie est l’endroit rêvé pour pouvoir attacher les wagons. Dans pas mal d’endroit où j’expose on peut trouver des travaux à l’encre de chine, à la plume parce que c’est un de mes grands kiffes.  Cela ne m’empêche pas de travailler au Posca, à la peinture, au Bic.

La galerie permet aussi de casser un peu le bestiaire, de montrer autre chose. Même si les gens s’attendent quand même à ça. Pour la série vampires et bayous, j’avais mis un animal juste pour rappeler le Codex.

Il y a un autre rapport avec les amateurs d’art. Dans la rue, c’est gratos. A la galerie, tu découvre les collectionneurs, avec un goût qui est le leur, qui d’un seul coup vont aimer ce que tu fais au point de mettre des sous sur la table. Déjà c’est jubilatoire. Cela te donne une valeur. On peut critiquer la tune tant qu’on veut, c’est quand même un moyen de te comparer avec autre chose. Est-ce que ce que je fais vaut plus ou moins qu’un paquet de pâte ? C’est pas inintéressant de voir cela comme ça. Ensuite voir des gens qui vont kiffer ça à un point qu’une pièce ne va pas leur suffire, voir aujourd’hui plusieurs personnes qui ont acheté 3, 4 ou 10 pièces de Codex Urbanus, c’est super cool.

Et puis enfin, j’ai de la chance d’être tombé sur des gens cool en galerie. Partout où j’ai exposé, l’expo était canon, les gens étaient canons. C’est vrai que parfois tu sais jamais où tu tombes, il y a des gens qui se sont faits avoir. On vend des trucs dans leur dos ; ils disent un prix, on vend le double et ils en savent rien. De mon côté je n’ai jamais vécu cela.

Parmi les galeries où j’ai exposé, 4 avaient une ligne éditoriale tout à fait chiadée, créative. Notamment le Cabinet d’Amateur qui montre des choses complètement différentes. Akiza, qui sont sur Montmartre, pour qui j’expose énormément. Il y une réelle cohérence. Les gens qui vont dans leur boutique ont vu ce que j’ai fait dans la rue avant. Eux ils sont axés Street art, art sombre, ésotérique et rock’n’roll. Il y a une vraie communauté d’intérêt. La Galerie Ligne 13 connue et reconnue. Nunc aussi avec le trip de l’édition.

D’ailleurs, en ligne, j’ai vu un livre avec des Codex. Est-ce bien ça ?

Il y a un livre avec 4 illustrations. C’est un essai de Morgane Caussarieu, Vampires et Bayou. Il y a une illustration pour un recueil de nouvelles fantastiques, qui s’appelle Sales bêtes (aux Editions des Artistes Fous).

Et sinon j’ai écris un livre, publié sous mon vrai nom. Il est disponible chez Akiza. Mais il n’a pas de lien vraiment avec le Codex.

Est-ce que tu les photographies toujours tes œuvres ? Comment regardes-tu les photographes qui prennent en photo tes œuvres et les mettent sur internet ?

Cela les immortalise. Je les mets en ligne parce que je sais qu’il faut le faire sinon elles disparaissent à jamais. Plus d’autres personnes prennent des photos, plus cela bruisse, plus le Codex existe. Les gens l’identifient. Je ne suis pas sur Instagram, sur Flickr. Pourtant il y a des centaines de photos sur ces réseaux. Quand tu googlise « Codex » tu tombes sur ces photos et sur les blogs. Pour la grande majorité des sites, se sont des gens que je ne connais pas.

Le Street art apporte une visibilité de malade, et via internet qui lui donne une autre visibilité de malade. Quelque part,  si on se déplaçait dans les années 80, je serais inconnu. Cela apporte un cachet pour les pochoiristes de ces années là, qui sont partis de très loin.

Aujourd’hui, tu dessines un cœur quatre fois de suite dans la même rue et  t’es taggué comme Street artiste. Tout le monde le reprend et en parle. C’est aussi là où il y a un écueil. Il y a aussi beaucoup de One hit wonder qui s’y essaie pendant un mois et qui arrête.  C’est là où tu vois les pures, qui se font chier ou qui se font plaisir à y aller et puis les autres qui essaient.

Je fais partie de ceux qui te tagguent. Par contre je ne cherche pas forcément à aller à la chasse en observant les photos pour retrouver dans quel coin tu as posé ton œuvre. Certain(e)s le font.  Tu en penses quoi ?

Il y a des gens qui mettent la photo en ligne en me tagguant dessus avant que je mette la mienne. Certains cherchent délibérément, comme des collectionneurs. Ils veulent savoir. Quand ils ne trouvent pas, ils m’envoient des messages privés pour me demander c’est quoi, c’est où. La plupart quand ils vont à Montmartre, ils cherchent des Codex. C’est hyper agréable de se savoir suivi et accompagné.

Il y a une mise en réseau via Facebook, Instagram. Comment tu vis cela ?

Parfois dans mon album Codex Urbanus Paris, je mets une photo. Un internaute va chercher dans l’album et va « liker » une autre photo. Cela va la faire bumper. Et cela donne une 3ème vie.

Facebook m’énerve parfois mais sans cela, ma carrière artistique, si cela a un sens, serait à l’état larvaire, dans un coin. Cela m’a permis de rencontrer tout le monde. Ce que tu peux faire sur des années en écumant les vernissages, tu peux le faire rapidement de chez toi. Avec tous les gens du Street art, tu as 200-300 amis en commun.

Le Street art est un courant majeur de notre époque. C’est normal qu’il y ait tous ces gens qui le suivent. Et je ne me considère pas comme étant célèbre. Des artistes comme Jef Aerosol, Seth, doivent avoir des milliers de gens.

Si tu avais un groupe de musique ou une chanson à me conseiller :

Ce qui est sympa dans le Codex c’est qu’il mélange le moderne et l’ancien. Ce qui reflète le plus l’imaginaire du Codex c’est Dead can dance. On retrouve le point commun entre ésotérique, ancien et moderne.

Si tu avais un lieu où boire un verre :

Il y en a plein. Les endroits les plus sympas pour boire des verres avec moi : déjà chez moi, dans les catas, à Burning man. Si je dois donner le nom d’un bar : les Tontons Bringueurs, à Gambetta. Je suis un fan des happy hours car le Codex est un peu pingre. Je préfère me ruiner en Posca qu’en pintes de bière. Quand les beaux jours reviennent, ici, sur les quais de l’Île Saint Louis.

Si tu avais un coup de gueule à passer :

J’en ai plein des coups de gueule. Aujourd’hui il y a l’histoire Kerviel qui s’est fait confirmer sa condamnation en cassation. Cela ne passe pas. Où sont les gens qui étaient payés pour l’encadrer, qui ont validé ce qu’il a fait ? Pourquoi ils ne sont pas là ?
Les russes m’énervent aussi. Non pas que pour la politique. Mais quand le peuple russe est à 84% homophobe, ça m’énerve.
La maison des artistes qui n’est ouverte que le matin.
Le palais de justice dont les escaliers ne sont pas rangés par ordre alphabétique.
On pourrait continuer jusqu’à la tombé de la nuit.

Certains coups de gueule valent le coup pour que l’on se batte pour eux, d’autres non. La manière dont une clique financière est en train de foutre l’Europe sociale à genoux, là ça mérite de se battre. La manière dont le droit au bonheur des gens est foulée au pied par les lois.

Si tu avais une dédicace à passer :

Au mec qui fait les textes de Fauve ≠ parce que je me sens très proche. J’ai envie de dire « message reçu ». Quand tu écoutes ses textes, je me dis ni plus, ni moins que c’est ce que je répète dans mes interviews depuis 2 ans. C’est intéressant de voir que d’autres personnes disent ce genre de choses.

Si tu avais un voyage à faire :

Déjà faut acter le fait que d’en 3 jours je pars pour Mexico. Cet été, je vais à la Nouvelle Orléans et à Burning Man, où je vais tous les ans. Donc mon année est déjà bien remplie. Si je pouvais faire un troisième voyage, ça serait dans un pays que je ne connais pas : Brésil, Mali, Inde du Sud. Et un endroit, qui est un peu comme mon Saint Graal, c’est le marais Poitevin. Un jour je me louerai une petite baraque là-bas et je ne ferai rien sauf regarder l’eau couler lentement. Mais ce n’est pas pour tout de suite.

Si tu avais une question à me poser, où tu étais assuré que je réponde et que je te dise la vérité, tu me demanderais quoi ?
Je te vois suivre le Street art efficacement, je te vois taquiner les feutres en salle de réunion. La question : à quel moment tu vas passer le cap ?

Cela me titille de plus en plus. Je pense que ce n’est pas encore le bon moment. Mais cela arrivera. J’aurai besoin de m’y coller, de m’y frotter. Je cherche ce que j’ai envie d’y mettre. Je vois des choses très colorées. Cela va venir !! Plus je suis en lien avec le milieu du Street art et plus ça me donne envie d’en faire ou en tout cas de créer une interaction avec certain(e)s artistes.


3 Responses to "Interview de Codex Urbanus"

  1. […] Interview de Codex Urbanus sur Clementcharleux.com […]

  2. […] à bâtons rompus où on parle d’art, de street art et de tout le reste ! C’est sur ClémentCharleux.com […]

  3. […] (cf. MontmartreAddicts). Pour découvrir une excellente interview, c’est sur lementcharleux.com : « Les artistes, comme les écrivains, ont vite tendance à jouer un personnage. Cela permet […]