Interview de Daco

C’est de manière spontanée que le contact a eu lieu. Il n’y a pas préméditation si vous voulez tout savoir. Juste un ensemble d’éléments qui ont rendu l’interview possible. Je ne connaissais pas l’artiste avant de voir plusieurs de ces oeuvres à Akiza la galerie.

Peut être si je fouillais dans les Giga de photos que j’ai à la maison, je trouverais une de ses oeuvres. Peut-être sur facebook j’ai pu voir un post avec la photo d’une de ses oeuvres. Mais quand bien même, tout artiste peut susciter en peu de temps la curiosité. C’est ce qui c’est produit.

Daco : Quel est ton chemin? Quelles sont tes influences? Qu’est ce qui te plait? Que vas tu me dire de toi? Quelles portes vas tu m’ouvrir et quelles sont celles qui resteront fermées? Je suis curieux. J’ai hâte. D’autant plus que j’ai beaucoup apprécié son travail, que je suis resté bouche bée, que j’aurai bien aimé avoir les sous pour l’acheter l’un de ses oeuvres.

Rendez vous pris dans le 18ème. Lundi 10 août. Dans un restaurant. Captain B. Pas loin de l’arrêt Anvers. Je suis en avance. En sortant du métro, vue sur le Sacré Coeur. Des touristes en veux tu en voilà. 5 minutes et je m’installe sur la terrasse encore fermée. Un message via Facebook. J’étais dans ma musique. Je lève les yeux et je le vois.


Il peut y avoir certaines questions plus ou moins déstabilisantes. Il ne faut surtout pas hésiter à m’interrompre, à me dire si certaines choses sont du « off ». Tout est libre.

Ok.

Il y a des questions par thématique. Après s’il y a un oubli, tu peux intervenir. Tout est possible. Tu peux me dire si tu veux arrêter, si c’est l’heure et que tu dois partir.

Pseudo : Daco

Sans rentrer dans qui se cache derrière ce pseudo, de dévoiler ton vrai nom, est-ce qu’il a une signification particulière ?

Non c’est juste la contraction de mon prénom et de mon nom de famille.

Est-ce que c’est un pseudo que l’on t’a donné ? Ou est-ce toi qui la choisit ?

J’ai eu plusieurs pseudos auparavant. Comme je viens du graffiti, j’ai eu quelques petits soucis, divers et variés, avec différentes personnes ou la justice. J’ai changé plusieurs fois de noms. Certains que l’on m’avait donnés en plus. Là, j’ai voulu changer il y a quelques années. Je me suis donné ce pseudo. Spontanément. Sans compliquer le truc.

Sache que certaines personnes ont menti à cette question.

Age : 63 ans. (rire collectif)

Et bien tu ne les fais pas. Tu es plutôt bien conservé pour ton âge.

J’ai 35 ans.

Akiza avait fait dit : Yoshi a 197Y et moi 197R.

Cela correspond bien à leur personnage.

J’avais eu aussi l’évocation d’un pacte avec le diable par Codex Urbanus.

Moi je ne suis pas là dedans.

Site internethttps://www.facebook.com/dacopaint

Première fois sur un mur : Je devais avoir 17 ans. Et c’était du vandale. Parce que bon j’était dans le mouvement graffiti, tag. Premier nom sur un mur. En région parisienne. Dans le 91. Un truc certainement très moche. Je m’en souviens plus. C’était pas du tout structuré ou quoi.

C’était seul ou avec une bande de potes ?

A plusieurs. En mode copains. Je suivais mes potes qui faisaient ça. Je me suis dit que je le ferai bien. J’ai essayé et cela m’a plu. Mais bon j’étais très loin des choses que faisaient mes copains, des trucs plus avancés, des lettrages classiques en graffiti.

C’était une première mais bon fallait se lancer, non ?

Dernières fois sur un mur : Et bien c’était quand… Vendredi soir. (Il se retourne en direction de son amie) c’était vendredi soir sur un mur? Samedi ? Vendredi ?

Tu es son agenda. J’ai déjà eu une interview à trois la dernière fois. Cela était plutôt pas mal. Cela permettait d’avoir des regards en coin quand les réponses n’étaient pas complètes.

C’est ma trousse à outils.

Lieux de prédilection : Comme j’ai deux média. Le graffiti, pur et dur, avec les bombes et tout ça. ça c’est plutôt friche, terrain vague, où on est tranquille, avec des grands murs, où je peux vraiment m’éclater. A côté, tous les murs de la ville pour mes collages. Je n’ai pas de quartiers. C’est au feeling. Si le mur me plait, qu’il est adapté aux dimensions de mes collages, j’y vais. J’ai pas de limite.

Ce sont des belles œuvres.

Elles ne sont pas petites. J’en ai un juste à côté là. On pourrait aller le voir.

Tu te définirais comment : Je ne sais pas. A la base je suis dans la catégorie graffeur. Après artiste. Je ne le suis pas car je ne vis pas de ça. C’est une passion surtout. Je peux pas qualifier mon art de Street art parce que je n’ai pas de vocation de délivrer un message. J’interpelle les gens. Mais c’est plus mon travail que je mets dehors comme le graffiti. Je vais plus imposer ma couleur. Je ne sais pas comment me définir. Je suis un touche-à-tout. Déjà dans le passé j’ai fait pas mal de custo et tout ça. Mais après c’est toujours un peu galvaudé de dire Street artiste.

Les contours sont très vagues et on est tous à y mettre notre définition.

Après y’en a d’autres qui vont dire « tu n’es pas vraiment ceci car tu fais ça aussi ». Cela délimite quelque chose.

Cela enferme presque un peu.

Ouai alors que c’est pas moi. Peut être que demain je ferai autre chose. Cela reste toujours, on va dire, de l’art. C’est un peu vague.

Tu fais quoi (en quelques mots) : Alors. En fait c’est donner un univers graphique et coloré aux gens plutôt que des murs bétonnés, gris. J’ai envie de partager mon travail au delà du graffiti, qui n’est pas forcément bien accepté. J’ai retranscrit par des animaux, ce que je fais actuellement, mon art graphique. Je donne aux gens une autre image, à laquelle ils peuvent s’identifier. Ils peuvent se dire « tiens, je ne reconnais pas, je ne sais pas ce que c’est mais c’est poétique ».

J’ai envie d’envahir les rues et les villes avec mon travail. C’est vraiment une invasion. J’essaie d’en mettre le plus possible et n’importe où. Y’a pas de cheminement. Je peux travailler par quartier. Une fois cela va être un seul travail dans la rue. Un autre soir cela va être 5. C’est vraiment aussi en fonction de mon temps. C’est vraiment donner de la couleur et de la gaité au gens.

As tu une actualité ? Tu étais, il y a peu dans l’exposition Plumes, poils, crocs chez Akiza. Et je viens de lire que nous allions te retrouver en août chez eux. C’est chouette. Cela se prolonge.

C’est super gentil de leur part. ce n’était pas prévu du tout. On en avait parlé de faire quelque chose l’année prochaine. Ils ont un agenda assez complet pour la galerie. Ils m’ont demandé, parce que cela avait énormément plu, si je pouvais apporter de nouvelles œuvres. Cela tombe dans une semaine. C’est cool. Je suis très content.

Moi à l’origine je suis pas trop exposition. Mon expo c’est la rue. J’ai pas de vocation à le vendre à l’origine. Que les galeries m’appellent, cela fait toujours plaisir. Autant retranscrire et voir ce que cela peut donner aussi. Parce que dans la rue j’ai un contact avec les gens, quand je vais coller. Mais c’est pas le même en galerie. C’est intéressant. La dernière fois que j’étais exposé, je n’étais pas tout seul, mais j’avais ce premier contact qui était cool.

J’avais fait d’autres expositions avant. Mais cela ne m’apportait pas grand-chose. Mais là j’ai eu un autre ressenti parce que les gens connaissaient mon travail dans la rue. Pour le coup, c’est vraiment cool. Je suis content de pouvoir recommencer ça mais à l’avenir je n’ai rien de prévu de sûr. Une exposition peut être à Roubaix en décembre. Mais j’ai pas encore finalisé le dossier. Je ne sais pas encore si je le fait ou pas.

C’est une galerie que j’aime beaucoup. C’est la première fois que je voyais ton travail. Je pense dans un souvenir avoir vu quelque chose dans la rue mais cela reste vague. Entre ce que j’ai vu sur internet et ce que j’ai vraiment pris en photo. Ce qui était intéressant, c’était les différents univers, les différentes tailles qu’il pouvait y avoir. Le mélange qu’il avait mis dans cette expo était vraiment riche. C’est ce que j’apprécie vraiment dans leur galerie. Des univers variés qu’ils arrivent à faire se mêler. Il y a aussi une qualité d’accueil, d’échanges, notamment sur les artistes qu’ils ont choisi d’exposer. Cela va être une nouvelle occasion de retourner les voir.

Ils ont vu un de mes collages dans la rue. Cela s’est fait en très peu de temps, 3 ou 4 jours. Ils m’ont demandé si je voulais participer à l’exposition. Je ne connaissais pas la galerie. Ni eux d’ailleurs. On s’est rencontré. J’ai dit ok, cela me branchait bien. Je ne savais pas trop qui étaient exposés non plus. Je me suis dit, on tente. Et puis finalement, super rencontre, super accueil. Cela me réconcilie aussi d’exposer. Cela faisait depuis longtemps que cela ne m’était pas arrivé, et pas dans les mêmes conditions. Du coup, cela fait plaisir. J’espère si je dois en faire d’autres que cela se passera toujours comme ça.

Elle est appelée Daco Vs Akiza. Un duel au sommet ??

C’est une surprise. Moi-même je ne suis pas au courant. J’ai déposé des toiles dimanche. Là ils ont fait l’annonce. Cela s’est fait encore une fois rapidement. Mais tant mieux, cela fait une surprise aussi pour moi. J’aime bien.

Donc pensée pour Yoshii qui doit être en train d’accrocher les toiles.

J’aurai peut être du en commencer par là. Je me posais la question si tu avais déjà eu l’occasion de faire une interview.

Oui, je l’ai fait pour le magazine Vibration clandestine. C’est un magazine web. Cela s’est fait par mail. C’était l’année dernière. Très peu de questions. Sympa aussi. J’ai vu qu’ils ont pas mal d’actualités.

J’ai le rôle de poser plein de questions. Est-ce que l’exercice vaut le coup de faire une interview ?

Oui. Parce que j’ai du mal à parler de mon travail. Je trouve en fait que c’est plus sympa. C’est un exercice de style que de me raconter à une personne comme toi ou à un magazine, en petit comité. Parce que j’ai du mal à aller voir les gens, notamment en galerie. Ce n’est pas mon fort. Je préfère que l’on me pose des questions comme tu le fais, ça me lance. J’en parle jamais finalement. Je suis très dans ma tête à faire mes trucs mais c’est bien d’avoir ce retour sur son travail de temps en temps. C’est intéressant. Te dire que si j’en faisais 10 par jours, j’en aurais raz le bol. Mais c’est cool. Ça me fait plaisir que quelqu’un me pose des questions, me demande des choses sur ce que je fais.

Quand il y a un vernissage, j’ai toujours du mal d’aller voir l’artiste, de le solliciter. Même quand je tombe sur un artiste dans la rue, je ne cours pas avec mon appareil pour le prendre en photo et me dire « cool je l’ai ». J’aimerai déjà qu’il y ait un contact.

T’as pas envie de t’imposer et c’est normal.

Je suis aussi beaucoup dans l’idée de donner les photos que j’ai prises. Pour moi j’étais juste là au bon moment mais celui ou celle qui a fait le boulot c’est l’artiste. Je suis précautionneux.

La dernière fois, c’était pour Hopare, avec la Galerie 42b. Il était là, assailli de gens. Il était plus que pris. La galeriste est venue nous parler avec une amie. Je lui ai dit « je vois que ce n’est pas le moment d’aller lui parler même si j’aurais plein de choses à lui dire ou demander ». Je voyais qu’il enchainait une dédicace, une question, une autre dédicace. A sa place j’en aurais eu marre. Elle me dit « si vous voulez attendre un peu ». Moi « ben écoutez on n’a pas le temps ». C’était rigolo parce que pour le coup j’inversais les choses. Dans ces yeux je voyais qu’elle était surprise et que normalement les gens attendaient.  

Elle a du apprécier. 

Cela a attisé sa curiosité et elle a lu l’article sur l’Exposition La rue a du charme que j’avais fait. Je me dis que cela ne doit pas être simple, cette sollicitation, devoir tenir à tout ça. 

Après c’est le jeu. On sait que l’on est exposé. Au public. Au retour il va y avoir quelque chose. On donne à parler. Pour moi c’est ce que je te dis, c’est un bon exercice de faire une interview. Je ne suis pas habitué à faire ça. Je pense que quelqu’un comme Alexandre (Hopare), c’est pareil. Il vient de la rue. Il est obligé de faire ça. C’est long. Mais cela fait partie du travail. C’est donnant-donnant.

S’il y avait une question à ne surtout pas te poser. On la raye tout de suite de la liste. Elle ne fera pas partie de la suite. Qu’est-ce que l’on ne sera jamais sur Daco ?

La vache. J’ai un peu un esprit contradictoire. J’avais tendance à dire pendant pas mal d’années que je ne ferais jamais du commercial. Et là, je suis à la limite en fait. Aujourd’hui je vends un peu mon travail. Pourtant moi, c’était une règle. J’ai toujours peint sur les murs. Jamais je n’irais contre mon truc. Finalement je m’y retrouve. Alors bon. C’est un peu compliqué. Il ne faut jamais dire jamais. Je sais pas si c’est louable.

C’est une petite limite qui est franchie ? Après il y a aussi une retenue qui peut être faite. Donc, nous ne trouverons pas tout de suite un t-shirt Daco chez Akiza.

Alors non. Désolé pour Akiza. Car ce n’est pas moi. Et pourtant, il y a quelques années, je l’ai fait. Pour des nantais, qui avaient une marque de fringue. J’ai fait des t-shirt pour eux. Ils sont partis avec la marchandise, je n’ai jamais vu de vente ou quoi. Mais je m’étais dit finalement. Pareil j’ai fait des sacs, plein d’objets, de merchandising. Mais je trouvais que ce n’avait plus de sens. Ce côté naturel. Palpable. Je n’avais pas ce côté brut de la chose. Et là ça devenait vraiment de l’industrie.

Tu ne t’y retrouvais pas ?

Pas du tout. Alors après il y a la limite entre vivre de son travail et faire du commercial. J’ai la chance aujourd’hui de pouvoir travailler à côté. Si un jour je passe la limite d’arrêter mon travail pour vivre de ça, jamais je ferais du commercial. Ça c’est sûr. Après il y aura peut être des dérivés malgré moi. On peut me le souhaiter à la rigueur. Mais je ne le ferai pas de moi même, comme beaucoup d’artistes j’imagine.

Et en même temps c’est aussi un sacré travail, un investissement. Certains de tes dessins, on y reviendra peut être après, vu la taille, vu l’ampleur, cela ne se fait pas en 5 minutes sur un bout de table, en pensant à d’autres choses en même temps. C’est pensé, réfléchi, c’est du temps. C’est pas évident de le vendre.

Comme je te le dis, c’est la galerie qui me fait voir que cela plait. Sinon pour moi c’est une passion que je mets au dehors. Mon travail j’ai envie qu’il soit vu, au delà de mon atelier. Ma plus grande fierté c’est ça. Maintenant je te dis vendre sur un meuble mon travail, ce n’est pas mon truc.

C’est la partie raconte moi ton histoire. Je vais te poser les deux questions en même temps. Qu’est-ce qui est important dans ton parcours pour comprendre ton travail? Quelles sont les étapes qui t’ont fait devenir Daco avec ces bêtes qui envahissent les murs? Une envie d’embellir, de mettre ça aux yeux de tous, sans message ? 

Une espace de jungle urbaine. Quand j’ai commencé le graffiti, j’adorais ça. J’étais dans un milieu Hiphop, avec mes copains, mon frère. On faisait de la musique, du rap. Moi j’ai toujours été attiré par le dessin. Je m’épanouissais vraiment dans le dessin parce que le rap ce n’était pas mon truc. Après j’ai eu d’autres copains qui étaient plus dans le rock. Cela n’avait rien à voir mais je continuais de dessiner, de faire mes graffiti.

Et puis j’ai eu une envie de plus, que l’on voit mon travail. Je continuais de le faire dans des lieux désaffectés. Après j’ai commencé à la faire illégalement dans les villes. Et j’ai eu des soucis. La justice m’a rattrapé. Cela m’a calmé pendant un bon bout de temps. C’est le truc de tout bon graffeur qui se doit : de se faire attraper un jour. Je me suis dit « fais chier ». Je vais continuer mais je ne pourrais pas vraiment l’exposer à part pour les initiés qui iront dans les terrains vague. Dans la rue, j’avais pas envie que cela soit agressif. Pas envie qu’ils me disent, comme ma famille, que c’est dégueulasse.

Du coup j’avais pas encore de style, je n’avais rien qui sortait vraiment. A part quand je prenais mon temps dans les terrains. Mais après c’était prendre des photos. Cela ne rendait pas vraiment pareil. J’ai fait de l’illustration. J’ai fait n’importe quoi, de la customisation d’objets. Cela m’a plu mais je ne trouvais pas vraiment ma voie. Puis j’ai travaillé mon style graphique au niveau du lettrage graffiti. Là c’est cool. Cela me plait bien mais cela reste chez moi.

Pendant des années, j’ai travaillé. J’ai fait de la dorure, de la restauration d’art. Je n’avais plus le temps de faire ça. Je bossais 13h par jour, parfois à l’étranger, je rentrais et je n’avais plus le temps de faire ce que je voulais. Je griffonnais. J’ai arrêté. J’ai repris mes études. Je suis parti à Nantes. Et là j’ai repris doucement. J’ai vu plein de choses. J’ai fait les beaux arts. On m’a donné la possibilité d’intégrer des pièces entières. J’ai pu envahir tout l’espace. C’est ça que je veux faire. Cela m’a déclenché un truc. Les beaux arts cela m’a permis de faire ça dans des pièces où je pouvais faire ce que je voulais. Dans la rue je me suis retrouvé face à des murs et je me disais que ce que j’avais pu faire aux beaux arts je ne pouvais pas le faire dans la rue.

Et puis je continuais à travailler mon style graphique. Je me suis dit « bon il faut changer ton fusil d’épaule ». Comment je pourrais véhiculer une invasion, alors à petite échelle parce que j’avais repris le travail. Je vais essayer avec des animaux tout en conservant mon style graphique. Cela a commencé à marcher. J’avais des bons retours des gens. « C’est beau ce que tu fais ». C’était gratifiant. Cela restait encore sur le papier. Je me suis dit bon il faut que je me lance. Le graffiti je pourrais le faire à la peinture mais cela va me prendre énormément de temps et j’en ai pas beaucoup. Faire ça dans la ville, des animaux, c’est un peu long. A moins que l’on me donne accès à un mur et le temps de le faire. J’ai plus ce côté adrénaline et je sais que c’est ce côté là qui me manquait le plus. Je suis un grand fainéant. Avant d’y aller c’est dur mais une fois que j’y suis je n’arrive pas à m’arrêter. Je me suis dit « aller, vas mettre ça sur les murs ».

J’ai commencé par des petits formats. C’est chouette, j’adore ça. Puis finalement après le week-end j’avais le temps de faire mes peintures dans les terrains vagues, tout en m’éclatant et en me disant que cette semaine je vais pouvoir aller coller mes animaux. Au fur et à mesure, les animaux sont devenus de plus en plus grands. Et puis si on m’arrête j’aurais une petite amende et c’est pas très grave. Finalement je m’y retrouve. Je suis content de faire ce que je fais. Je déploie comme je peux. Et j’espère pouvoir faire ça de plus en plus grand à chaque fois.et avoir le temps de le faire au maximum.

Dessiner depuis très longtemps. Et en même temps tu parlais aussi d’une forme d’apprentissage. C’est intéressant de savoir s’il y a eu des sources d’inspirations ? Artistiques et Personnelles ? Au tout début, tu disais, il y a aussi des groupes d’appartenance, avec qui on fait, des styles qui apparaissent en même temps, qui se diversifient. Et puis en même temps des choses que tu pouvais voir, qui pouvait te donner envie.

C’est exactement ça. Comme toi quand tu te balades. Aujourd’hui avec internet c’est même un peu plus facile. A l’époque, c’était dans les terrains. D’aller voir ce qui se faisait. J’essayais de faire pareil. Je recopiais pas mal finalement. Cela ne donnait jamais aussi bien. Et puis après beaucoup de blog qui m’ont permis de découvrir des artistes à l’international, qui me plaisaient. J’ai pas trop de mentors on va dire. Mais je m’inspire de tout ce que je vois. Je suis graphiste en plus à côté, l’image est importante. J’ai besoin de voir plein de choses. C’est comme ça je pense que j’ai pu créer mon style, qui est un patchwork de plein de choses. C’est très graphique, géométrique. Peut être de part mes études, car j’ai fait les arts appliqués. C’était un peu angle droit et tout ça. Mais ma plus grande source d’inspiration cela reste le graffiti, pur et dur.

Ce qui me questionne aussi, c’est que j’ai vu ces lettrages que tu imbriques avec les animaux. Et aussi les animaux en eux mêmes qui sont entre le réel et le fantastique. Ils leur poussent parfois des choses. Ils ont des couleurs, une géométrie qui n’appartient pas au réel. En même temps on voit pertinemment quel est l’animal. Tu viens aussi créer des formes à l’intérieur, qui tirent vers ton univers. Il est l’hybride de tout ça.

Le problème dans la rue je ne les mets pas en corrélation avec les lettrages. En plus je pense que tu as très bien cerné le truc, cela tire l’un vers l’autre. Et c’est un truc que j’ai envie de faire, parce que cela fonctionne bien. C’est moi en fait. Mon style déstructuré dans le graffiti qui est rapporté dans l’animal. Il y a des formes qui n’appartiennent pas à l’animal qui sont là. Ce la reste des formes reconnaissables. Mais c’est en évolution.

Il y aura peut être d’autres choses. A la base c’était prendre un animal et le retravailler à ma façon, en y insérant des éléments qui ne lui appartiennent pas. C’est presque des chimères. C’est l’évolution de l’animal dans la ville. On pourrait imaginer ça comme ça. Il a une base mais il change avec l’ère du temps, il évolue.

J’ai des questions qui prolongeraient cela mais elles iront mieux après. Je vais venir sur le côté technique…

Tu veux boire quelque chose. Tu veux quoi ?

Un perrier menthe.

Ok. Je vais demander au serveur. (Il va au bar, commander)

Le barman : ces inspirations, elles viennent de la bière là.

Cela aussi je vais le mettre dans l’interview.

Sur le côté technique. Il y a pas mal de gens qui se posent la question à savoir si l’artiste a reçu un enseignement artistique. Toi tu parlais des Beaux Arts et des Arts Appliqués. Est-ce que pour toi d’être passé là t’a apporté des choses ? Est-ce que c’est également ailleurs que les choses se sont forgées ?

C’était juste que, comme depuis que je suis tout petit je dessinais, j’avais besoin d’être accroché dans des études et faire du dessin. Je voulais rester là dedans. J’ai un enseignement classique. On m’a toujours dit « faut faire ci, faut faire ça ». Moi à l’école je ne voulais pas faire ça, je voulais faire une école de dessin. Même mes profs ne voulaient pas. Ils me disaient que cela n’existait pas, qu’il fallait que je fasse un bac général. Je ne sais pas si mon enseignement artistique m’a influencé. En tout cas il m’a permis de m’épanouir et de développer autres choses qui n’ont rien à voir avec ce que je fais aujourd’hui. J’ai pu m’ouvrir sur d’autres choses. Peut être que j’aurais pu le faire sans ça. Justement les gens avec qui je trainais étant plus jeune n’ont pas du tout suivi cet enseignement là et aujourd’hui ils continuent.

Tu disais tout à l’heure que cela t’a permis d’avoir accès à des lieux, des espaces de création.

Cela m’a conforté dans l’idée que c’est ce que je voulais faire. Investir des espaces. C’est comme, si demain on me propose un grand mur géant, je sais pertinemment que je vais m’éclater, parce que c’est ça que je veux. Le chemin artistique, scolaire, je l’ai choisi de mon plein grès. Après je n’ai pas forcément demandé parce que je ne savais pas que c’était possible. On m’a dit « tu sais que ça tu peux le faire là dedans, ça serait vraiment bien ». Je l’ai fait. Le retour après il est génial. Cela marche.

Est-ce qu’à l’inverse, d’être passé par ces écoles, cela crée une différence ? Entre guillemet « toi t’as fait les Beaux arts… ».

Non parce que je n’ai jamais eu ce rapport là. C’est un parcours que les gens oublient. Mes amis savent que je fais ça depuis très longtemps. Justement il y a que moi qui connais le rapport. La corrélation elle ne se fait jamais. A la rigueur si je refais un truc que j’ai fait lorsque j’étais au Beaux Arts, ils vont me dire « ça tu l’avais fait, c’était trop bien » ou « c’était nul ». Mais aujourd’hui cela n’arien à voir. Aujourd’hui c’est purement graphique.

Est-ce que cela t’a permis d’accéder à des outils, à des techniques que tu n’aurais pas trouvées ailleurs ?

En fait pas du tout. à l’époque j’achetais plein de matériaux pour essayer des choses. Mais finalement c’est des choses que je n’utilise jamais. C’était purement scolaire. J’ai toujours travaillé à la bombe ou aux feutres. Aujourd’hui je fais toujours de la même façon. Je triture un peu les matériaux, notamment de mon passé de doreur. J’ai pu apprendre des nouvelles techniques. Mais je ne les utilise pas. Par contre j’aime bien mettre les mains dans le cambouis. Ça c’est vrai que c’est l’un des seuls trucs qui peut raccrocher tout l’ensemble. J’aime bien avoir les mains dedans. Les techniques… j’ai rien retenu.

Comment tu conçois tes créations? Est-ce qu’il y a des croquis, un cahier ?

Feuille de papier blanc. Je prends un animal. Je te disais avant que je copiais des graffiti. Là je copie l’animal. Puis après c’est free style. Je construis toutes mes lignes. Je n’ai pas d’animal à te montrer sur moi.

Tu fais un modèle ou c’est à taille réelle ?

Non je le fais en modèle. A4 ou A3, en fonction du papier que j’ai. Là je dessine toutes mes lignes au crayon. Mais plus petit. Parce qu’en grand cela prend plus de temps. Et comme après derrière je retravaille tous les tracés. Cela me prend énormément de temps. Et après faut que j’aille les coller. Voilà les différentes étapes. Je sais pas si tu as vu que c’est travaillé sur ordinateur après. Je récupère, je scanne des matières, des taches. J’ai une banque de données maintenant qui est assez conséquente. Je réintègre ensuite cela dans mes tracées.

Est-ce que tu avais une liste d’animaux que tu avais ciblée ?

J’avais ciblé la faune. Mais finalement dans ce que j’avais ciblé, j’avais la posture d’un animal assez marqué. Je voulais que ce soit dynamique en fait. J’aime bien quand cela agite, quand cela vit. Du coup, la faune c’est un peu limité. Surtout que les animaux se ressemblent un peu. Ce n’était pas évident. Je m’étais donné une ligne de conduite. Maintenant s’il y a un truc qui me plait, je me dis « j’y vais ». Là j’ai fait un escargot. J’arrive à donner quelque chose de dynamique à quelque chose qui l’est pas vraiment. Donc plus de ligne de conduite. C’est juste la posture, si elle me plait.

Ce qui m’a interpellé, comme la plupart des animaux faisaient partie de la faune, c’est que beaucoup était gueule ouverte, dans une démarche soit d’agressivité, soit de défense.

Cela, on ne le sait pas. C’est vrai, je suis encore contradictoire, dans l’idée que je ne voulais pas donner aux gens quelque chose d’agressif. Et pourtant mes animaux le sont, oui ou non. Cela dépend comme on les prend. Mais c’était pas pour le côté agressif mais pour le côté dynamique de la bête, qui est en plein mouvement, qui s’exprime. Dans mes débuts, j’ai fait une girafe. Elle n’est pas dynamique. Et pour moi, cela marchait moins bien. Elle sera exposé d’ailleurs chez Akiza, enfin peut être. A voir si je la mets. Je sais que cela plait. Mais pour moi, c’est moins fort. C’est vrai que les animaux, si je peux les rendre un peu agressifs, dynamiques.

En même temps, beaucoup des animaux choisis sont dans le haut de la chaine alimentaire. Donc la représentation que nous en avons est qu’en face des ces animaux là nous serions une proie. Donc on a peut être tendance à y projeter de l’agressivité alors que ce n’est peut être pas le cas. C’est peut être de la défense, de la vitalité. J’avais eu le sentiment quand j’avais vu l’exposition de voir ces animaux venir vers moi, qu’elles allaient sortir de leur œuvre.

Cela donne ce côté vivant au dessin. Je pense aux images, notamment dans la rue. Si cela peut interpeller d’une certaine façon, tant mieux.

En tout cas la chose qui m’a frappé, c’est mon côté mathématicien qui ressort, ce sont les tracés géométriques, qui ne se voient pas forcément de premier abord. Cela vient aussi appuyer le mouvement, le dynamisme de l’animal, les lignes, la vibration des couleurs.

La répétition aussi beaucoup.

Pour moi cela fait que l’on regarde l’animal d’une certaine façon. Je ne sais pas si je m’exprime correctement. J’avais l’impression de suivre un cheminement, de le voir de manière globale, puis après dans le détail des lignes, des figures.

C’est pas du tout voulu. Après je te laisse seul juge. Je ne sais pas trop. Ce que j’aime bien, dans ce que je fais, c’est que l’œil puisse évoluer dans le travail. A chaque fois je découvre une nouvelle petite pièce dedans. Je sais pas si dans mes animaux y’en a beaucoup. Mais cela peut évoluer. Cela vit à l’intérieur.

Sur les choix de couleurs. Parce que, par rapport à Akiza, qui sont assez sombres, tu mets de la couleur. Même si j’ai déjà vu quelques œuvres d’Akiza avec une pointe de couleur. Une des choses qui frappaient par rapport aux autres artistes dans l’exposition Plumes, poils, crocs, qui faisaient des choses beaucoup plus sombre, tes choix de couleurs sont forts. Ils ne correspondent pas du tout à la réalité de l’animal. Cela vient de manière explosive, comme un feu d’artifice.

L’animal c’est une base. Là j’ai une série sur les visages que j’avais commencé malgré moi pour le collectif Quai 36 et l’appel à création qu’ils ont fait. Je suis parti d’un visage. Mais cela reste une base pour mettre des formes et des motifs graphiques.

Tu disais que c’est retravaillé par ordinateur. La couleur est mise après avoir créer le dessin, les lignes à l’intérieur ?

Ouai. Je me fais ma palette de couleurs. C’est toujours 5-6 couleurs maximum. Cela peut être deux bleu ou deux vert. Mais je me limite à une quantité de couleurs.

Après ils sont imprimés ? Puis collés ? 

Ouai. Ce sont sur petits papiers qui sont découpés. Parce que je n’ai pas les moyens de me payer des grands formats. Du coup c’est tout imprimé sur une petite imprimante. Ensuite c’est tout assemblé. Puis c’est collé. Alors la technique c’est du boulot. Je suis en train de réfléchir à un autre système parce que cela prend énormément de temps. C’est plein de feuille A3 attachées les unes aux autres. Le problème c’est que quand ça se décolle cela le fait par feuille. Lorsque les gens l’arrachent y’a qu’une feuille qui part. mais le reste ça ne fait pas très beau. Je suis en train de réfléchir à un système pour que si cela doit être enlevé, c’est l’ensemble qui part et pas juste des bouts. L’étape assemblage c’est la pire. Mais c’est bien aussi. Je commence manuellement. Je passe ensuite à l’ordinateur. Puis je finis par la matière. Je rajoute aussi un peu de bombe, de marqueurs. Finalement cela se boucle. C’est pas plus mal.

Cela fait un aller retour, entre chez toi, la rue. C’est ce que disait Akiza également, les œuvres de l’on a en galerie sont potentiellement dans la rue et là elle revienne à l’intérieur. Sur des supports très intéressants.

Il fallait que ce soit en rapport avec ce que je fais. En l’occurrence, les supports viennent de terrain vague, là où il y a des graffiti en fait. Tous mes supports sont taggués à l’arrière. En tout cas ils sont usés par le temps. Moi, je voulais quelque chose qui ait vécu avant, je ne voulais pas quelque chose de neuf. Cela ne m’intéressait pas. Je ne savais pas si cela allait plaire à la galerie. Je voulais pas arriver avec quelque chose de propre, de nickel. J’aime bien le côté déstructuré.

Cela apporte à l’univers aussi. Cela fait sens. Je trouvais que ce choix d’avoir un support ave une histoire c’est fort.

Au delà de moi, le support a déjà une histoire. Je serai incapable de la raconter. Mais au moins, cela vient d’endroit où il y a eu un passage, où le temps est passé dessus. Pour moi c’est important.

Quand tu travailles sur ces supports, tu utilises les mêmes techniques. Ou il y a des changements. La taille j’imagine va s’adapter.

Cela s’adapte. Je prends plus de temps dessus. Y’a beaucoup plus de matière. Je travaille en atelier. En mode boulot. C’est en gros le même travail. Mon tout premier collage, je l’avais posé dans le 13ème arrondissement, près de la butte aux cailles. Je suis parti en Italie et une amie m’envoie un message et qui me dit « c’est trop cool, t’es à la Maison France 5. Il y a un de tes collages ». Moi je ne comprends pas. Elle m’envoie l’article. En fait c’était un architecte qui avait récupéré mon collage dans la rue et qui l’avait mis chez lui. Là je me suis dit « c’est dommage ». Je m’en fichais qu’il le récupère. De toute façon c’est donné dans la rue. Le seul truc qui me dérangeait c’était qu’il l’avait enlevé du support.

J’ai réussi à avoir le mec pour qu’il m’explique. Il m’a dit que la pluie était tombée et que le papier s’était décollé. Il l’avait récupéré et mis chez lui. Ce que j’aurais préféré c’est qu’il découpe le mur et qu’il emmène le mur avec lui. Parce que le support fait partie du travail. Sans le support il n’y a pas le travail. J’étais un peu dégouté. Mais cela m’a fait plaisir de passer à Maison France 5, cela m’a fait une bonne publicité.

Est-ce que cela serait envisageable que ces bêtes soient faites sur un mur directement à la bombe ou à la peinture ?

C’est l’idée. 

Il faudrait une surface imposante.

Ouai. Peu importe. J’y travaille. Vraiment. C’est next step. De prendre le temps de faire ça.

S’il y a des murs, des personnes qui pourraient t’en donner un. Je lance l’appel. On ne sait jamais, peut être que mes interviews sont vraiment lues.

Dans le mode opératoire pour faire les collages, tu parlais de spontanéité dans le parcours. Avec la surface de mur dont tu as besoin, est-ce que tu fais des repérages ?

Dès que je peux je fais du repérage. Généralement j’ai toujours un mur en tête. Et après si j’ai vu que ce mur, je marche dans la rue. Au gré des détours, si j’en trouve un autre, je colle. Au départ, je fais du repérage ne serait que pour voir si cela cadre plus ou moins bien, s’il y a du passage aussi. Le but ce n’est pas d’être cloitré dans une impasse. Mais c’est bien, cela fait des petites promenades.

Et après c’est en mode nocturne ? Cela doit te prendre du temps pour tout coller.

Des fois c’est mal collé. Cela arrive. C’est assez rapide de coller. Ce n’est pas le problème. C’est plus avec la maréchaussée qu’il faut faire attention. C’est toujours pareil. Après je le fais le soir, pas très tard, parce que déjà la journée je travaille. Les weekends sont assez chargés. Le soir c’est mon temps libre. Je ne suis pas quelqu’un qui traine dans les bars, ce n’est pas mon truc. Même si je vais me faire un resto j’en profites pas non plus. Je préfère le soir, après une journée de travail, d’y aller. Cela détends. C’est sympa.

Cela nécessite du matériel. Je pense à un autre artiste que j’ai interviewé, à savoir Shadee K, qui fait de petits nounours. Il me disait qu’à des moments, il lui suffisait d’avoir son sac avec la colle et les dessins et de se balader, de nuit. Le souci pour toi, avec la taille de tes dessins, c’est que tu ne peux improviser.

Non. Cela ne s’improvise pas. Après je me suis toujours dit que je pouvais tout prendre avec moi au boulot et d’y aller une fois la journée finie. Mais c’est compliqué. Moi quand je pars j’ai 5- 6 affiches. Il me faut donc un paquet de colle et c’est vite lourd. Balader ça toute la journée, je pourrais le faire. Je préfère rentrer, préparer mon matériel et partir après. Finalement cela revient au même.

La prochaine partie, niveau politique, nous en parlions un peu avant. On me posait beaucoup la question non pas de savoir si les artistes étaient engagés, le point levé, en mode lutte mais plus dans le sens de venir provoquer quelque chose dans la ville, auprès des autres habitants.  

Toi c’est envahir la rue avec une bête et la soumettre au regard de tous. Cela vient quand même chambouler le quotidien. Soit avant il n’y avait rien, soit c’était un mur gris ou blanc. D’un seul coup, il y a de la couleur, un animal. Est-ce que ça c’est quelque chose qui te plait ? Qui t’intéresse ? Ou tu te dis que les gens y mettent ce qu’ils veulent ? Tu ne mets pas de mots supplémentaires.

Je propose un univers graphique, mon univers graphique. C’est moi. Je me mets en avant. C’est comme un Space Invader qui met ses carreaux partout, il n’y a pas de message. Il y a beaucoup de monde qui regardent de partout. J’aime bien ce côté, au delà des publicités, des chantiers, des panneaux, des devantures de resto, il y a des choses jolies, qui peuvent nous interpeller et nous faire voyager. Cela fait travailler notre imaginaire. Moi en tout cas je m’évade. Je regarde partout. En même temps je ne suis pas objectif parce que c’est ce que je fais. Mais je trouve que c’est beaucoup plus agréable que de passer devant rien en fait. On n’est pas des robots. On a envie d’autre chose.

Tu parlais d’invasion, de multiplier cela. Tu souhaites qu’il y ait une faune et une flore qui envahissent les rues.

C’est important. C’est un truc qui a toujours été. Je ne sais pas pourquoi. J’ai besoin d’envahir. La surface et les lieux. Parce qu’il faut que ce soit imposant. Parce que les petites choses, les gens ne les voient pas forcément. Quand c’est majestueux, hors norme, là tout de suite ça les interpelle. Un initié, lui, il regardera forcément. Un novice, il va dire « wow, c’est choquant ». Cela fait bizarre. Surtout je m’imagine la personne qui vit au dessus et qui descend le lendemain matin, qui voit ça. « oulaaa, y’a du rouge !! Alors qu’il y avait du gris juste avant ». Après ça peut faire mal. Cela peut être troublant. Cela ne plait pas à tout le monde.

D’autant plus qu’à Paris, pour comparer avec d’autres villes du monde, ayant un peu voyagé, il y a une uniformité des couleurs, du rythme des bâtiments. C’est très monotone. Je vois notamment sur mon lieu de travail à Nanterre, il y a des pignons de murs magnifiques, dans des quartiers qui mériteraient de voir de la couleur. Je vis à Aulnay-sous-Bois et c’est pareil. J’aimerai avoir une œuvre qui m’en mettrait plein la tête, qui me donnerait la pêche tous les soirs en rentrant à la maison. De me dire, « y’a ça dans mon quartier ». A des moments je me dis, certes cela peut choquer au début, mais après est-ce que cela ne fait pas partie intégrante du quartier, est-ce que les gens ne finissent pas par en être fiers ? 

On va pas se leurrer, on a tous été enfant. On a tous fait des dessins, de la peinture. On a tous plongé là dedans. Cela ressource de voir de la couleur, de voir des mouvements, des choses se faire, sans message, sans rien. Je pense que cela devrait être obligatoire. Cela mettrait de la gaité. Les gens, ils ont besoin de ça. Ce n’est pas les messages publicitaires que l’on voit tous les jours qui vont nous rendre heureux. On consomme, on consomme mais finalement on ne met plus les mains dans la peinture. La matière première. Les choses de la vie que l‘on a toujours fait depuis que l’on est petit. Quand on grandit, on ne voit plus ça.

C’est rigolo parce que l’un de mes amis voulait que je lui propose des photos (de deux univers : le métro et le Street art) pour habiller un escalier dans son centre d’animation. Je lui ai fait une proposition d’exposition qui est là-bas depuis septembre 2014. J’y suis retourné une fois pour en mettre encore plus, pour envahir l’entrée du centre. Les deux univers viennent s’intercaler avec deux formats de photo différents : l’un carré (instagram) pour les photos du métro, l’autre rectangulaire pour les photos de Street art. Il m’a demandé si je pouvais lui donner un nom et si je pouvais écrire une note d’intention. La première idée qui m’est venu pour le titre c’est : Ce que l’on ne regarde pas vraiment. Autant dans le métro, que dans la rue. Quand je me balade, je regarde dans toutes les directions, en haut, en bas, je me retourne souvent. Mes ami(e)s me disent que eux ne se seraient jamais retourner. 

Les gens ont la tête dans le guidon. 

Dans le métro, c’est pareil. Je regarde les gens non pas de manière vicieuse ou perverse. Je ne prends pas la tête des gens en photo. Ce qui m’intéresse, c’est la posture, les attitudes. Cela me fait rire de voir côte à côté quelqu’un qui lit sur une tablette et quelqu’un qui lit un journal. Ou une personne est fermée, repliée sur elle même et à côté une autre qui s’étale.  

Alors que ces gens se côtoient certainement. Ce sont les mêmes. C’est intéressant. Voir les gens. Leur réaction. 

Dans la création dans les rues, les premières choses qui viennent s’est le côté dérangeant, le vandalisme. Finalement, au bout d’un moment, les gens trouvent cela beau. J’avais couvert l’année dernière un festival à Aulnay. Au départ, les habitants étaient bouleversés dans leur habitude. Les artistes avaient investis une galerie commerciale qui va être détruit d’ici quelques années. Elle était en déshérence complète, peu de gens continuaient à l’utiliser. Cela a été un choc pendant une semaine. Finalement les œuvres ont résisté. Les gens étaient fiers. Certains revenaient d’un jour à l’autre pour voir l’artiste, voir l’œuvre évoluée. 

Dès que l’on donne accès au gens, cela plait. Si l’on n’en parle pas, les gens ne s’intéressent pas. C’est comme la tour Paris 13. Les gens s’en moquaient complètement. Puis c’est là où il y a eu le plus de monde. 

Une forme de frénésie, d’attirance. A un moment, on envahit des espaces qui ne devraient pas l’être, avec des propositions fortes. Je n’y suis pas allé, mais de ce que je voyais, cela devait être extra de rentrer dans des appartements refaits de la tête au pied.

T’en prends plein la tronche. Je pense que c’est ce que les gens cherchent aussi. Une manière d’être perturbé. Certains peuvent dire « jamais j’irais là dedans ». Et une fois dedans, il y a plein de choses qui se passe.

Les rares fois où il y a des murs ouverts, où il y a des artistes mais tout le monde peut venir y mettre un coup de pinceau, les gens s’arrêtent, aiment ça. Quand on demande aux gens de s’exprimer, c’est une de choses que je fais dans mon travail, au début ils n’osent pas puis après ils y prennent goût. Ils ont tellement à dire. Ils ont envie aussi d’avoir des espaces beaux, d’avoir accès à des choses gratuitement. 

Quand c’est légalisé, les gens disent que c’est beau. Quand ce n’est pas légalisé, ce n’est pas beau.

Une légitimité à exister.

C’est la dure loi de la jungle.

Voici maintenant la partie sur les collaborations. Est-ce qu’il y a eu des rencontres déterminantes? Qui ont marqué ton travail ou des projets ?

Non. J’ai collaboré avec un copain. Mais cela ne s’est jamais fait. C’est pas trop mon truc. J’aime bien faire mon truc, dans mon coin. Avec mon pote, on exposait ensemble. Cela nous a permis de confronter nos deux univers. C’était intéressant. Je ne le ferai pas tout le temps.

C’est peut être aussi des rencontres qui permettent de voir d’autres techniques.

Lorsque c’est peindre sur un mur, plusieurs artistes, plusieurs styles côte à côté, j’ai aucun souci. Par contre si c’est une collab imposée où on doit essayer de faire en sorte que cela marche, là c’est moins mon truc. C’est presque une commande. Pour le resto (Captain B) on va leur refaire la déco. J’ai mon copain qui vient avec son style. Moi j’ai le mien. On va les confronter. Mais on va pas se dire de faire en sorte que cela marche ou quoi. Non.

Que tous les murs soient un mélange de vos univers…

Non. Ce sera free style. Il faut que cela soit un peu nature et spontanée. J’aime pas trop les choses forcées.

Si par mon intermédiaire tu pouvais poser une question soit à un autre artiste en particulier, soit à tous les artistes, tu demanderais quoi et à qui ?

Est-ce qu’ils (ceux qui en vivent) ont le temps de faire tout ce qu’ils souhaitent à côté de la peinture, du graffiti? Parce que quand je vois des artistes comme MADC, une graffeuse qui fait des murs gigantesques, qui peint tout le temps. Je me dis est-ce qu’à côté elle arrive à faire des choses ? Est-ce que la vie d’artiste n’entrave pas la vie personnelle ? Cela prend quand même pas mal de temps. Je sais que des gens ça leur bouffe pas de temps. J’en suis pas à ce stade là. J’ai un travail, pour l’instant le reste c’est ma passion. J’aimerais que ma passion devienne mon travail.

Mais que cela n’impose pas un rythme qui ne te permette pas de vivre le reste, c’est ça ?

Ouai. Ne plus avoir de vie sociale finalement. Est-ce qu’ils arrivent à s’imposer des limites ? Pour plein, je ne sais pas comment cela se passe. Cela doit être bien compliqué. C’est le rêve de beaucoup de vivre de sa passion. De se dire, à côté de ça, il y a des concessions à faire. Enfin j’imagine.

On en a parlé mais peut être que certaines questions n’ont pas été abordées. C’est l’aspect financier. On sait que tu exposes, que c’est arrivé quelques fois. Tu disais que ton rapport avec le fait d’être exposé n’était pas simple pour toi, qu’il y avait une forme d’équilibre mais que tu ne voulais pas que cela penche dans un côté commercial. Le fait d’être exposé fait-il que tu travailles différemment ? Que tu proposes des choses qui sortent de ce que tu fais dans la rue ? En gros qui viennent te titiller dans ton propre travail.

Complètement. Du coup les supports sont différents. J’ai une échelle qui est différente. J’ai un public qui est différent certainement. Tout ça c’est intéressant. Mais c’est pas voulu. Tant que c’est dans le sens « on vient me chercher », tant que je ne l’impose pas.

Tu as un travail de graphiste à côté. Est-ce que tu te dis que cela basculera ou pas ? Est-ce que l’équilibre aujourd’hui est serein ? Tu te dis pas « oh mon dieu, j’ai loupé ma vie ».

Non. Je suis serein de ce côté là. Je reste dans le dessin, avec mon métier. Mais ça reste alimentaire quand même. Je ne m’épanouis pas forcément non plus. Je m’épanouis dans ma passion, à côté. Je fais de la musique aussi.

De la musique ?

Ben justement je suis dans un groupe de rock. 

Ça c’est une autre porte.

Ça va, cela ne me prend pas trop de temps.

Est-ce que cela vient d’ailleurs, il n’y a que toi qui peux savoir, boucler la boucle ? De faire tout cela, le graffiti, la musique. Est-ce que cela alimente un côté et l’autre ?

Fan de musique, j’ai besoin d’en faire. Encore une fois c’est pouvoir faire ce que j’aime. Ce que j’aime j’ai envie de retranscrire. Je suis pas un musicien mais j’essaie.

Déjà après de le faire et de le faire avec plaisir, c’est déjà énorme. 

C’est un grand plaisir avant tout.

C’est drôle mais j’avais noté une question « quand trouver le temps ? ». Finalement j’étais dans cette idée là. Il y a un an j’étais au chômage, j’ai lancé ces interviews parce que j’avais du temps. Je passais tous les jours ou presque dans les rues de Paris pour faire des photos. Depuis un an j’ai un boulot. En même temps j’ai envie de continuer mais pas de courir. Plein de fois je me suis rendu compte que beaucoup de photographes passionnés de Street art couraient ici ou là. Je me suis dit que je voulais choisir, prendre le temps, profiter d’un endroit si je décide d’y aller.

Je pense que c’est un luxe. Prendre le temps. C’est important de se donner le temps de faire ce dont on a envie. On est beaucoup dans ce cas là. Le temps nous court après. On est régi par le temps. On n’a pas le choix.

Il y a du travail. On ne se représente pas, sans forcément que cela soit chiffrer, l’argent nécessaire pour tout ça, pour imprimer tout ça, pour les bombes. Est-ce qu’à un moment donné, cela n’équilibre pas les comptes de vendre certaines toiles pour pouvoir continuer de peindre ?

Bien sûr, cela alimente la matière première.

Il y a certains artistes qui ont le mur offert et le matos offert. On leur dit « vas y éclate toi ». Mais il y beaucoup de fois aussi où c’est avec son propre matériel que l’artiste vient, où il se débrouille avec ce qu’il a.

Heureusement que je travaille à côté. C’est ce qui me paie mon matériel. J’ai eu des occasions où on me payait le matériel et où on me donnait des surfaces à peindre. Mais c’est très rare. Derrière cela part vite le matos. Même si t’as l’occasion d’en faire un de temps en temps. Ta passion elle est grande. T’as besoin de matière. T’en auras jamais assez. A moins d’avoir un sponsor.

Déjà. Daco, le pseudo et l’artiste existe depuis combien de temps ?

Quelques années. Les animaux cela fait deux ans. Daco cela existe depuis 4-5 ans. Mais ce n’était pas à la vue de tout le monde. Je suis un grand timide, c’est pour ça. Je te disais que mes premiers collages étaient petits. Mais c’est comme quand je vais dans un terrain vague, je me mets souvent à l’écart. Je ne suis pas au milieu de tout le monde. Je vais prendre un mur un peu isolé. J’ai du mal à me mettre en avant quand je travaille.

Besoin d’être au calme ?

Ouai. De ne pas être dérangé. J’ai du mal quand on me regarde et que je fais quelque chose. C’est pas mon truc. Même au travail.

Sur l’utilisation et le média d’internet, de Facebook, voilà une question que l’on m’a beaucoup posé. Comment cela fait partie de la diffusion du Street art ? Les artistes ont été mis en lumière grâce à certains média. Soit ils mettaient directement leur œuvre en photo, soit ils étaient shootés par d’autres.  

Maintenant il y des chasseurs d’image, pour parler de certains de mes camarades. Cela permet aux artistes de garder une trace, un souvenir, d’avoir l’évolution de l’œuvre en photo. Je l’avais fait à Aulnay pour certains artistes, cela leur permettait de voir comment évoluait leur œuvre, de prendre du recul. Je pense notamment à Marko93. Est-ce que c’est un outil que tu utilises plus ou moins ? Est-ce que tu es content de voir des photos de tes œuvres circuler ? 

Ça c’est génial. De voir son travail repris par d’autres et que ce soit diffusé. On a la chance d’avoir ces réseaux aujourd’hui. Cela nous aide énormément. Il y a plein de choses que je n’aurais pas découvert sans ça. Les chasseurs de Street art, je trouve qu’il y a en a beaucoup. Mais en même temps, tout le monde ne peut pas tout voir. Donc c’est bien qu’il y en ait plusieurs et que l’on puisse découvrir d’autres choses. Je suis assez friand de ça. Je n’ai aucun problème avec ça. Moi je diffuse aussi mon travail sur les réseaux sociaux. Cela me fait découvrir. Après il y a rien d’imposer. C’est comme les murs. Si on n’aime pas, on ne prend pas.

D’ailleurs je remercie quand même tous les photographes. Je trouve que c’est un sacré travail, de se déplacer partout, de prendre le temps de faire toutes les photos, d’aller chercher les artistes qui ont fait les œuvres. Je pense qu’ils ont aussi ce côté respectueux de demander si cela ne dérange pas. 

C’est vrai que cela participe à garder en mémoire les œuvres. L’autre jour j’ai fait un article sur mon site d’expositions qui étaient toutes les trois finies. Je n’avais pas eu le temps de le faire avant. Finalement, c’est ce que je mettais dans mon article, je devenais une mémoire. Cela montre des choses belles, dont j’avais envie de parler. Cela laisse une trace. Même si ce n’est plus à voir. Peut être que cela éveillera la curiosité de certain(e)s, qui se diront « tiens j’aime beaucoup ; la prochaine fois que je verrais ce nom là, j’irais voir l’expo, je prendrais le temps ».  

C’est ce que je me dis, de tous ces passionné(e)s de Street art, qui suivent les artistes, c’est souvent bienveillant. Certains montrent aussi l’œuvre en fonction de l’effet qu’elle leur fait. Cela m’est arrivé de me balader avec d’autres photographes et de voir que nos prises de vue sont parfois très différentes. Voir ce que l’on a envie de montrer de l’œuvre. On a tous aussi notre angle. Cela fait montrer la même œuvre de plusieurs façons.  

Lorsque j’ai pu suivre certains artistes pendant une semaine à Aulnay, ce qui me plaisait c’était l’évolution des œuvres. J’avais fait un article sur Vinie qui montrait les différentes étapes de création. L’une des photos qui m’a plu c’est son schéma sur du A4 et voir en face d’elle le mur qui est gigantesque. Je me disais « comment partir du A4 pour mettre cela sur 10m de mur ? ». Il y a parfois l’effet du mouvement de répétition de son geste. Je trouve ça fort de me dire que j’ai vu ça. Je l’ai pris en photo. Je vais lui donner. 

C’est vachement important. Ce sont des choses que l’on n’a pas. Le seul rapport que l’on a c’est entre notre dessin et le mur. Le mouvement en soi on le fait parce qu’il faut le faire. J’aime beaucoup ces photos là, en action. Ça c’est grâce au photographe dans la rue que l’on peut les avoir. Et aussi les différents angles de vue, les différentes lumières. Cela permet de voir comment l’œuvre elle vit au jour le jour. Je trouve cela vraiment intéressant. 

Voici la série de questions. 

Si tu avais un morceau de musique ou un groupe à nous conseiller? Cela peut être ton groupe de musique, que l’on peut découvrir.

Johnny Halliday, l’envie d’avoir envie. J’aime bien cette chanson. Je suis pas un fan. Mais cela m’arrive souvent de la fredonner. L’envie d’avoir envie. C’est positif

Si tu avais un bar où prendre un verre ou un restaurant où manger ?

Ici. Captain B. 

(On y est pour l’interview) Donc on y reviendra pour manger.

Si tu avais un message, un coup de gueule, un coup de cœur, une dédicace à passer?

J’ai pas de… le seul message que je peux passer c’est que j’espère que j’agresse pas les gens avec mes animaux agressifs. J’espère que cela continuera. J’espère encore découvrir plein de choses au niveau artistique dans les rues. J’aimerai en découvrir de plus en plus. Je trouve que cela manque beaucoup. Cela manque énormément. Si je pouvais laisser passer des messages aux mairies, se serait de laisser tout en place, s’il vous plait. De ne rien enlever.

Ou proposer des murs. C’est une chose que j’aimerais bien voir arriver à Nanterre.

Proposer des murs pourquoi pas. Il y a toujours ce côté interdit. Mais moi, ce dont j’ai envie c’est pas que les murs soient proposés mais qu’ils soient libres. Qu’on n’est pas à payer pour avoir une publicité. Que les gens puissent mettre ce qu’ils veulent. C’est leur cœur qui parle. Il y a des messages dans la rue, sur les bancs, au crayon. Les cadenas à l’origine c’est venu d’un couple qui l’a accroché. C’était peut être interdit sur le moment et puis tout le monde a récupéré ça. Et c’est devenu emblématique. Si cela pouvait ça avec les murs, de mettre de la couleur dans toutes les villes du monde. Comme au Mexique ou à Valparaiso au Chili, des villes où les bâtiments sont peints dans toutes les couleurs. Je pense que cela rend les gens heureux.

Si tu avais un voyage à faire ?

Un tour du monde. Ou aller à Melun. Pas très loin d’ici. J’ai pas beaucoup voyagé donc j’aimerais aller voir de partout. C’est évident.

Et enfin. Last one. Mais la plus bizarre peut être. Je vais tenter de la formuler correctement parce qu’au début je n’y arrivais pas. Si tu avais une question à me poser pour laquelle tu étais assuré que je te donne une réponse et que je te dise la vérité, tu me demanderais quoi ? Oui parce qu’on m’a fait la réflexion que je pouvais très bien répondre et mentir. Donc je te jure de te dire toute la vérité et rien que la vérité sur la prochaine question.

Alors j’en ai plusieurs. C’est possible ?

Oui.

Alors :

  1. Je sais que tu es journaliste, enfin que tu fais des interviews. Mais d’où vient ce goût pour le Street art ?
  2. Qu’est ce qui t’a donné envie de m’interviewer ?
  3. Comment tu vois l’avenir de l’art dans les rues ?
  4. Et qu’est ce que tu vas manger ce soir ?

Alors. Le goût pour le Street art vient de mon goût pour la photo. J’ai un peu voyagé quand j’étais jeune. Je prends beaucoup la ville en photo. J’ai beaucoup plus de mal à prendre les gens. Prendre comment les gens vivent dans la ville, là ça m’intéresse plus. Je prenais beaucoup en photo les villes, les rues, les bâtiments. Au fur et à mesure de mes voyages et même ici, je me suis rendu compte que les villes étaient envahies d’œuvre. Ce qui m’interpellait c’est que peu de gens y faisaient attention. Le contraste aussi qu’il pouvait y avoir entre l’œuvre et le lieu où elle était. Donc j’ai commencé à prendre en photo cette vie de la ville.  

Pour moi le Street art participait de ça. Pour moi, il y a des gens qui me parlent à travers les murs de la ville. Je trouvais ça tellement fun. L’étape a été de montrer ça. Au début c’était sur Facebook puis cela m’a saoulé. Donc j’ai fait mon site, pour montrer les choses à ma manière. Je prenais le temps de découvrir des galeries, de rencontrer des artistes. Au bout d’un moment, je me baladais dans les rues de Paris avec mes amis ou ma famille et je leur donnais des infos. Mais je me trouvais des fois à ne pas pouvoir répondre à leur question. D’où l’étape d’après de me dire « t’as qu’à les interviewer ». J’ai trouvé ça rigolo. 

L’immersion ? 

Ouai. Le faire avec des gens qui en avaient envie, qui allaient jouer le jeu de ça aussi, de prendre le temps. Pour l’instant cela s’est fait de manière spontanée. Avec des envies partagées. Parfois cela a pris du temps. Je trouve ça assez simple. Se laisser porter par la vie. Donc voilà pour le goût du Street art. En sachant que cela me titille. J’écris, je dessine un peu. Je me dis « tiens mais ça doit être quelque chose de dingue ; faudrait essayer ! ». Qui sait. 

Cela va se présenter. Un jour.

Ou de mélanger des médias. Il y a des artistes que je trouve étonnant comme Katre. Mêler photo et graffiti. Je trouve ça riche. Cela va plus loin. 

T’as quelque part une envie de montrer ce que tu fais, ce que tu as envie de dire. Tu as besoin de montrer des choses enfin en tout cas l’envie. 

J’aimerai si un jour il y a quelque chose que cela provoque une réaction. Interpeller les gens, les habitants d’un quartier. Ne pas laisser indifférent. Dans le côté politique de la chose. Regarder, se regarder. Montrer la société dans laquelle nous vivons. Il y a des sujets sur lesquels si on s’apaisait un peu on en vivrait pas plus mal. On aspire toutes et tous à aimer, être aimé et être heureux. Il y a plein d’autres choses que l’on balayerait, qui ne sont pas si importantes.  

Pourquoi toi ? J’ai bloqué face à une de tes œuvres, qui a été par évidence celle que j’ai mise en couverture de mon article. Celle du Puma. J’ai bloqué pendant longtemps. Robinson qui me pose la fameuse question : et si tu devais partir en courant avec une œuvre sous le bras tu choisirais laquelle ? Et bien je crois que c’était tout deviné. Ce qui a été curieux, c’est que j’étais aussi avec mes parents. Mon père m’a dit concernant tes œuvres que cela lui donnerait envie d’en acheter une. Cela provoquerait quelque chose à la maison en mettant cela sur son mur.  

J’étais surpris aussi que tu partages aussi simplement mon article sur l’exposition Plumes, poils, crocs. Je trouvais ça sympa. Je me rencontre que la vie ouvre des portes comme ça. Je me suis dit « tiens, je vais demander une interview à cet artiste ». Si c’est bon, tant mieux. Si c’est pas maintenant, j’attendrais. Te concernant, je me suis dit qu’il y avait quelqu’un qui m’intriguait. Tes œuvres avaient provoqué une émotion, une attirance. Etant curieux, j’avais envie de savoir qui était derrière ce pseudo.  

Maintenant je pourrais en dire plus sur toi à celles et ceux qui me poseront des questions. J’aime être un passeur. Il y a des artistes qui arrivent pas à se raconter, il y a de l’autre côté des gens qui sont stériles à ça parce qu’ils n’osent pas poser des questions. Si je peux être ce trait d’union là, ça me plait. Me dire que la personne réagisse à une de tes œuvres dans la rue, qu’il comprenne mieux ton travail grâce à l’interview.

Cela permet de montrer une autre histoire. T’as une explication sur ce qui se passe devant toi.

Et que cela aiguise la curiosité, qu’une prochaine fois cette personne ose se déplacer, ose poser une question. 

L’avenir de l’art dans la rue ? J’aimerai beaucoup que l’on s’empare des murs, de nos rues. Que l’on arrête de les considérer comme intouchables, comme un chose vouée à être grise, moche, triste. On habite nos quartiers mais on ne les regarde pas. A un moment donné, si on s’était approprié ce lieu, si on lui avait donné une teinte particulière, si on disait de son quartier qu’on l’aime, que c’est joli, que cela me plait, que c’est différent d’un autre endroit. D’imaginer un quartier qui ait les fenêtres de toutes les couleurs.

On est là avec des façades identiques, avec une obligation à ce que tout soit pareil. Il y a des murs qui se retrouveraient pas plus moches en tout cas que ce qu’ils sont aujourd’hui. Les enfants, les jeunes pourraient utiliser ces espaces, de manière temporaires, pour s’exprimer, de montrer des choses. On y gagnerait. On ne rentrerait pas chez soi juste pour y dormir. On se poserait en bas de chez soi parce que l’on trouve ça joli.

Et même de participer.

Ce que je vais manger ce soir. Je ne sais pas.

Tu l’avais noté. C’était pas obligé ça.

La chose est que la maman de mon copain est à la maison ce soir. Je vais la rencontrer pour la première fois. J’espère qu’ils ne m’auront pas forcément attendu pour manger parce qu’il faut encore que je rentre jusqu’à Aulnay. Mais je ne sais pas le menu. Je le mettrais quand même dans l’interview.

Ce sera la surprise. Tu aimes les surprises ?

Oui.

C’est un peu les choses que l’on ne contrôle pas. Ça fait du bien au quotidien aussi.

Menu du soir : riz, crevettes, bisque de crevettes avec des tomates.