Interview d’AKIZA

Il faut se rendre dans le 18ème. Arpenter la butte, découvrir les alentours vers le métro Pigalle, Blanche. Remonter, éviter un peu les touristes de la Rue des Abbesses. Et surtout aller voir AKIZA. Une galerie. Un artiste. Un deux en un magnifique et troublant, envoûtant et subtil. Rue Tholozé. Il faut pousser la porte un jour et y retourner. Je dis un jour sans préciser car ils sont quasiment ouverts 7j/7, 365j/an. Y retourner car il y a à tant voir, à savourer, car il y a tant de questions à leur poser, de t-shirts avec lesquels repartir.

Cela fait plusieurs mois que je suis passé voir cette galerie. Accueilli par YoSHii, un bonjour, un sourire, une invitation à découvrir l’expo du moment. Robinson pas très loin, dans la salle du fond en train de jouer les passeurs. La conviction que ce lieu est une pépite, où l’on peut s’en mettre plein les mirettes et ressortir en étant moins bête qu’en entrant. Moi j’étais curieux. Eux étaient présents, prêt à répondre à ma curiosité, dans un échange précis et riche, avec des mots justement choisis. Moi avec l’envie d’aller au delà et de comprendre davantage Akiza, cette poupée, cet univers. Eux avec la promesse de prendre le temps pour cela.

23 juin, 17h. Il me demande quelques minutes pour s’occuper de deux personnes et donner un coup de peinture sur une œuvre. Je profite de ce temps pour faire le tour de l’exposition Arachnides. Plusieurs artistes sont présentés. Finalement vers 17h30, nous nous installons, en mode fauteuil et table d’appoint, deux verres de limonades et mon microphone. Et là, pendant 2h, j’ai bu ses paroles. J’ai accepté facilement de mettre un peu de côté mon questionnaire pour m’ajuster à ces propos et réagir en fonction de la direction que nous prenions. Akiza. Son histoire, son univers. Un tandem, une aventure humaine et artistique. Une poupée en noir et blanc.

Le temps a filé. Je les ai retenus plus que la normale dans leur galerie. Je m’en veux. Vous comprendrez d’autant mieux quand vous aurez lu ce qui suit.  J’espère que vous serez contents, Robinson et YoSHii, de cette interview. Cela sera ma manière de vous demander pardon. Je retournerai à AKIZA encore, je le sais déjà. Pour les curieux vous pouvez également lire le résultat d’une enquête AKIZA – Vu de l’extérieur avant de cliquer ci-dessous.


Pseudo : AKIZA

Est-ce qu’il y a une signification ? Porte-t-il des consonances venues d’ailleurs ?

Il en a plusieurs et ça s’est fait complètement par hasard. Suite à une rencontre lors d’un voyage au Japon. Je suis venu à tout ça par la calligraphie, par la lettre. C’est vraiment l’amour du tracé, des rythmes, des formes de la calligraphie qui m’a amené à laisser tomber mes études de biologie pour une école d’arts appliqués à Toulouse et découvrir le graphisme, la typographie, la mise en page.

Plus tard, j’ai été invité au Caire pour la calligraphie et mon sujet de fin d’étude a été une police de caractère pour l’égyptologie. Je l’ai présentée pour un concours de typographie internationale organisé tous les 4 ans à Tokyo (Morisawa awards). J’ai eu un prix spécial du Jury qui m’a permis d’aller au Japon en 2003. J’étais bien content.

J’ai créé la petite poupée, par hasard en rentrant du Japon. Je cherchais à lui donner un nom. Et une amie danoise rencontrée là bas m’a proposé AKIZA. Un mélange entre deux prénoms, le sien et celui de sa meilleure amie japonaise. Comme c’est une personne que je n’ai pas revue depuis longtemps, ça n’a plus vraiment d’importance.

Ce que je trouve important c’est qu’il commence par un A. Ça permet d’être au début de toutes les listes d’artistes. C’est très bien. En le choisissant j’ai repensé à une interview d’Uderzo ou Goscinny… Ils avaient choisi le nom d’Astérix qui commençait par un A et ça permettait d’être au début des listes. Je me suis dit parfait. Trois syllabes. Rien ne s’appelait AKIZA à l’époque, sauf une société qui fait des jeux vidéo pour téléphone portable en Turquie. C’est eux qui ont akiza.com. Peu importe.

La petite connotation japonaise n’est vraiment pas faite exprès. C’est presque par hasard. Je m’intéresse à la culture japonaise mais assez superficiellement. J’ai vu et lu quelques mangas mais je ne suis pas imprégné de cette esthétique là. Et je pense que si j’avais été vraiment addict, je n’aurais pas fait ça comme ça. J’aurais plus été influencé.

Ce qui fait ma force sur AKIZA est d’être au carrefour de plein de choses et de ne pas être trop fan ou trop dans un courant en particulier. Ça aurait été plus difficile de faire quelque chose de réellement original. Être au carrefour d’influences rock, gothique, fétichiste, graphique, calligraphique mais sans m’y connaître en musique m’a permis de ne pas faire référence tout de suite aux fondamentaux du genre et pouvoir bâtir un univers différent.

Presque de devenir sujet de son sujet. De se retrouver aspiré par ce que l’on veut créer.

Ça c’était une digression sur l’originalité. C’est japonisant mais sans faire exprès du tout. Comme ce nom m’a plu, je l’ai gardé. Mais je ne fais pas référence au Japon forcément dans mon travail. L’influence serait plutôt européenne, art nouveau, propagande, futurisme, calligraphie.

C’est vraiment que la sonorité fait slogan. Une sorte de point levé. Un ordre, une consonance qui donne un rythme fort.

Donc le vrai grand truc intéressant sur ce nom (en plus d’être légèrement japonisant et de commencer par un A) est d’avoir la même caractéristique graphique que mes dessins : c’est une fausse symétrie. Ça je m’en suis aperçu après… C’est à dire que tous mes dessins sont symétriques mais pas vraiment. C’est le côté icône, Christ en majesté qui m’a influencé. À chaque fois que je suis frappé par une image, en regardant un film par exemple et que j’aimerais dire « pause, ça c’est beau ! », elle est symétrique ou presque. Tout est dans le « ou presque ». Dans tous mes dessins, on est dans le quasi symétrique.

Le nom d’AKIZA est symétrique. Il y a un A de chaque côté, le Z et le K en fausse symétrie et le I comme pivot central. Ça c’est la chose la plus pertinente à dire sur ce nom. 100% de mes dessins ne sont pas symétriques mais un bon 95 le sont. Je suis assez jaloux de Muse, pour le nom de leur album « Origin of Symmetry ». J’aurais bien aimé le trouver. Le livre d’AKIZA s’appelle Mute et c’est très cohérent aussi. Mais j’aurais préféré l’appeler « Origin of Symmetry ». L’aspect graphique où AKIZA est inscrite.

Du coup sur le nom, il y a eu un glissement aussi. Au début c’était le nom de la petite poupée. Qui a eu d’abord un visage, un corps. Après en voulant améliorer ce corps, j’en ai fait un deuxième. C’est à ce moment là que tout a basculé. Lequel choisir entre les deux ?… Et si je gardais le même visage et que je faisais plein d’autres corps ? C’était il y a 10 ans. C’est fou comme parfois on commence un projet sans savoir où cela va nous mener. C’est un peu comme les relations d’amitié ou d’amour, quand on rencontre une personne on ne sait jamais si cela va durer ou non. Il y a des relations qui nous paraissent superficielles qui vont devenir des choses énormes, qui bâtissent nos vies ou des choses importantes qui peuvent perdre très vite de leur intérêt. Des fois sur des projets, sur des passions, on commence par mettre le doigt sur un petit quelque chose, comme un passe-temps, et puis on bâtit notre vie là dedans. J’ai fait ça il y a 10 ans.

De dire que ce nom était celui de la poupée…                          

Oui super ! C’est le nom que j’ai donné à la poupée, qui a évolué de corps en corps. En se réinventant sans cesse. Je suis tombé sur une phrase. Ça devait être le nom d’une toile sur laquelle je travaille pour une exposition dans le musée Dali mais finalement je ne vais pas la garder. Parce que ce n’est pas assez clair. C’est en latin. Ça dit : EADEM MUTATA RESURGO. Cela se traduirait par « déplacé ou changé, je réapparais à l’identique ». Il y a vraiment AKIZA là dedans. De se réinventer à l’identique. D’être sans arrêt en mutation. On retombe sur le titre du livre : MUTE comme Muette, avec ce qui lui arrive dans la bouche et on en reparlera plus tard, et Mute, Mutine, Mutante.

AKIZA était le nom de la poupée. Une et plusieurs. C’est sa caractéristique. Moi quand je parle d’AKIZA c’est une. Je ne dis pas « les » AKIZA en parlant de mon travail. Elle évolue sans arrêt. Elle peut être présente à plusieurs endroits dans un tableau. Ce n’est pas gênant d’en avoir 3, 4 ou 5 dans la même composition mais elle est unique. Ça c’est particulier aussi. Donc AKIZA, le nom du personnage est devenu par souci de cohérence et de simplicité mon nom d’artiste, notre nom de travail avec ma petite camarade YoSHii. Au début c’était les toiles AKIZA signée par Robinson pour devenir finalement les toiles AKIZA signées par AKIZA. Les deux se sont confondus. La poupée est devenue moi, nous. C’est notre création, notre couple et notre lieu de travail. En se disant qu’il n’y avait pas de raison de trouver un autre nom alors que celui-ci nous a porté chance. J’ai fait comme Richard Branson avec Virgin, qui baptise tout pareil une marque de cola, une compagnie d’aviation, un label de disque, une compagnie ferroviaire.

Âge : Comme on est deux, on va donner l’âge de chacun. YoSHii est née en 197Y et moi en 197R.

Site : www.akiza.net

Les deux prochaines questions vont être assez curieuses : la 1ère fois et dernière fois sur un mur c’était quand ? parce que Akiza n’a pas été sur un mur tout de suite. Tu disais que la première Akiza créée c’est il y a 10 ans. La première fois où elle a été sur un mur, cela s’est passé quand ?

AKIZA n’est pas née dans une démarche de Street art mais, quand même… Il y a eu beaucoup d’emprunts à la rue, de choses photographiées, des antennes, réverbères, balcons en fer forgé, câbles, constructions métalliques. Toutes ces choses formidables que l’on voit dans le ciel quand on se promène dans des gares, qui sont réutilisées, samplées, échantillonnées, tordues, recomposées dans AKIZA. Donc du coup, il y a eu un dialogue avec la rue, emprunter et redonner. Les t-shirts se sont faits très rapidement. J’ai eu l’occasion de le faire dès les premiers mois d’Akiza et cela a plu à beaucoup de monde. Là on a sorti la 110ème référence de t-shirt. Du coup, le rapport à la rue était là. Ma première action de Street art a été presque de croiser des gens que je ne connaissais pas avec mes t-shirts. Même si ce n’est pas à proprement parler du Street art, on est bien d’accord. Mais en prenant et en rendant.

Une des premières expositions en galerie d’art contemporain, c’était à la galerie Nadine & Tom Verdier dans le Marais. C’était en 2006, je pense. Il y a eu une grande fresque en forme d’arbre dans la galerie. Puis après à chaque fois, dans les expositions, je faisais des fresques de plus en plus grandes. Des trucs de 4m de haut. Mais je n’avais toujours pas franchi l’interdit de l’acte non autorisé dans la rue. J’étais très timide par rapport à ça. Il m’a fallu un moment, quelques mois, voire quelques années, pour sauter le pas même si je connaissais des grafeurs, un milieu qui peut être connecté à la calligraphie. Mais je n’avais pas évolué dans le milieu de skateurs et du graf, où le pas aurait pu être sauté plus facilement, plus naturellement. Même si mon art était au point, sans être prétentieux, en tout cas était abouti, mûr, cohérent. Quand par la suite j’ai vraiment décidé de mettre des choses dans la rue, le tout premier c’était un pont à Marx Dormoy, en dessus d’une voie ferrée, en sortant de voter pour le premier tour des présidentielles. Pas 2012 donc 2008.

2007 ? Celles d’avant ?

Non 2007 ça fait trop. 2012. Ça fait 3 ans. Je préfère mentir dans mes interviews pour me donner plus de longévité et de Street crédibilité. Effectivement, la vraie première chose placée dans la rue était sur un panneau Danger Électrique au dessus d’une voie ferrée. Il y a 3 ans. J’ai mis du temps à me décider. J’y suis allé un peu à reculons. Et puis une fois que j’étais mûr dans ma tête pour le faire, cela a été une révélation. J’ai découvert l’intense plaisir de montrer mes dessins dehors, de faire, la montée d’adrénaline, le fait d’être surpris, de voir les œuvres, la manière dont elles sont recouvertes ou non. Leur durée de vie est toujours assez étrange et surprenante.

Et puis après tout le milieu qui gravite autour du Street art, les échanges avec les autres artistes, le fait de se reconnaître, de faire des choses ensemble. Un univers passionnant, qui a construit une partie de l’identité de la galerie qui a pour vocation de montrer à la fois ce qui est autour de l’art sombre, pop surréalisme, graphisme de propagande et du Street art dans ses connexions avec l’art sombre. On ne va pas forcément montrer du graffiti ou du Street art dans sa dimension plus hip hop, ce qui n’est pas notre culture. Et puis il y a des gens qui le font très bien et c’est mieux de les laisser faire. Nous, notre identité est Art Sombre, Street art et graphisme. C’est pour ça qu’un artiste comme Codex Urbanus était évident, une belle rencontre dès le début de la galerie. On pourrait appeler ça, d’une certaine façon, du Street Art Gothique, même si ça peut être un peu réducteur. Comme Iemza, comme bien d’autres. Il y a une connexion d’esprit.

C’est une résonance des univers. Il y a plein de choses qui se partagent. Une spécificité que vous avez, qui est cohérente avec ce que vous avez envie de montrer. C’et là où je pense, même pour les artistes, que c’est chouette. Ils se disent qu’ils sont bien pris en main par des gens qui comprennent ce qu’ils font et pas juste exposés parce qu’ils sont connus.

La dernière fois, soit la dernière Akiza et/ou dernière fois sur un mur, ça remonte à quand ?

La dernière AKIZA date de cette nuit. Je me suis couché à 8h du matin. C’est pour un très beau projet, une exposition collective à l’Espace Dali, sous la place du Tertre. Ils ouvriront pendant six mois leurs murs à des artistes de Street Art, dont notre camarade Codex qui, comme moi, a réussi à mettre un pied dans la porte au dernier moment. C’est Véronique Mesnager, la sœur de Jérôme Mesnager, qui est commissaire d’expo. Jérôme y participe, avec Speedy Graphito et quelques artistes de l’écurie de Véronique.

Je voulais faire cette toile assez rapidement parce que je manque vraiment de temps en ce moment. Beaucoup de commandes de dessin, des toiles à faire, à rendre, à produire pour moi, pour la galerie, pour la rue. Je ne dors pas beaucoup. Et je voulais essayer de faire cette toile assez vite mais je n’ai pas réussi. J’ai passé une bonne semaine, avec quelques nuits blanches dessus, pour arriver à ce que je voulais. Un objet à la hauteur du lieu et des gens qui m’entourent là-bas.

Parfois il y a des occasions où on se dit qu’il ne faut pas se louper, pas montrer du facile, du convenu, de l’à peu près. Je voulais vraiment montrer ce que je peux faire de mieux maintenant. C’est une AKIZA hermaphrodite, entourée d’escargots. Un thème que je n’avais jamais abordé. Cela fait référence à la forme des galaxies, aux spirales logarithmiques, au côté parfaitement pornographique de l’escargot dont Dali a parlé plusieurs fois. Je voulais éviter de citer trop facilement les clichés daliens comme l’éléphant, le rhinocéros avec des longues jambes, les tiroirs qui sortent du corps, les béquilles. Ça pouvait être un axe d’attaque, mais je ne voulais pas tomber dans la citation trop évidente. Plutôt essayer d’employer la même méthode que lui, par association d’idées, liée à la psychanalyse, au rêve. La méthode qu’il appelait la « paranoïa critique », qui lui permettait de concevoir ses toiles. Finalement de faire un parcours comparable à lui, mais avec mon propre langage.

Cette toile va être exposée à partir de septembre pour 6 mois au musée Dali des Abbesses. Beaucoup de communication, d’affiches dans le métro. Voilà pour la dernière. Elle est en train de sécher dans la cour de la galerie au moment où l’on parle, entre deux couches de bombe.

D’accord. Et donc la dernière application d’une AKIZA sur un mur, elle remonte à quand ?

Malheureusement ces derniers temps, et c’est avec regret que je dis ça, j’ai moins eu le temps de travailler dans la rue. Parce que trop occupé par la galerie, plein de complications, un déménagement perso. Les dernières c’était après les nuits passées à la galerie pour préparer l’exposition sur les Insectes et Araignées. J’ai fait quelques pochoirs et quelques applications autour de la galerie en rentrant chez nous au petit matin, à l’heure où l’on ne croise que Codex dans la rue. Cela date d’il y a une dizaine de jours.

Mais j’attends de parer aux urgences, d’honorer des commandes de toiles, de concevoir la couverture d’une pochette d’un disque 33 tours où je dois bâtir un décor et un portrait en AKIZA de la chanteuse. Ça, c’est un grand projet dans les 15 jours qui viennent. Après ça, ou si j’ai des petits moments, arriver à redécouper des pochoirs, trouver du temps pour aller dans la rue.

Lieux de prédilection : c’est déjà de venir à la galerie. Mais pas que…

C’est en fonction de nos déplacements. Je n’ai pas le courage, je l’avoue, comme certaines acharnées névro-sociopathes qui se lèvent à 6h du matin tous les dimanches pour couvrir arrondissement après arrondissement. J’avoue je ne le fais pas. Mon parcours street art est plus prosaïque : galerie-appartement et autour de l’appartement, tous les chemins où je promène Yaki, la mascotte psychopathe de la galerie, notre petit chien noir et blanc. Il y a une similitude de démarche d’ailleurs, le chien qui cherche la bonne odeur, qui juge à quel endroit il pourrait pisser pour marquer son territoire et optimiser ses quelques gouttes d’urine, et puis moi qui fais à peu près la même chose avec mes dessins, 1m50 plus haut.

Donc grosso modo, 9ème, 18ème arrondissements, et puis les endroits où l’on va pour un vernissage ou un repas. Il y en a pas mal aussi quand on va voir nos familles en Provence et en Alsace.

Non. Ouf ! ça va mieux alors. Voilà dans ce qu’est Akiza, dans ce que cela représente dans votre tandem.

Effectivement, c’est la première chose, on fonctionne vraiment en tandem. J’ai rencontré ma chérie YoSHii, juste après la naissance d’AKIZA, il y a presque 10 ans. C’est vraiment notre couple. C’est parce que nous sommes ensemble. Parce qu’elle m’a suivi dans cette aventure, que l’on a tous les deux eu du temps à y consacrer, que l’on a bâti notre couple et notre histoire sur ce projet. Du coup, on est quasiment 24h/24 ensemble. Avec tout ce que ça a de passionnant et d’épuisant dans le fait d’être connectés au travail jour et nuit. Il y en a toujours un des deux qui, au réveil ou au moment de s’endormir ou sous la douche, dit « ah j’ai une idée pour la galerie ou pour AKIZA ! ». On est vraiment en phase avec ça. La galerie est ouverte 7j/7 mais nous on est quasiment 24h/24 dans la dynamique.

La partie graphique c’est plutôt moi. Mais AKIZA ce n’est pas que ça. Tout ce qu’il y a autour, tout ce dont on parle avant de faire un dessin, les idées, le choix entre plusieurs variantes, le fait d’avoir un œil extérieur pour me dire « c’est bien », « continue », « là tu t’es pas foulé ». Des fois il y a des décisions que j’ai du mal à prendre dans mon travail, des décisions que je trouve un petit peu culottées et c’est elle qui me pousse à me dépasser. Dans le dessin que j’ai fait pour le projet Dalí, il y a eu un rebondissement cette nuit. En lui montrant une variante à laquelle je croyais pas, et puis finalement j’ai passé 4h de plus sur le dessin. AKIZA c’est vraiment notre entité à tous les deux.

J’avais beaucoup de mal avec le mot artiste. Je suis venu à tout ça par la calligraphie, la typo, le graphisme. J’ai une formation d’arts appliqués. Il y a toujours une espèce de confrontation entre arts appliqués et arts plastiques. Pour les arts appliqués, les plasticiens sont des branleurs, drogués, paresseux, qui ne savent pas dessiner, qui prennent des grands airs en faisant des barbou-gribouillages ou des vidéos sans queue ni tête. Pour les plasticiens, les arts appliqués sont des ordures sans foi, ni loi, vendus à la pub et juste bons à décorer des boites de petits pois.

Donc moi, je suis rentré dans cet univers là par le côté ordure, sans foi mais avec loi, par la calligraphie, une entrée artistique. J’ai adoré cette formation, le côté très maitrisé, très structuré des choses et d’apprendre un réel savoir faire en mise en page, en composition, en rythme, qui me sert à chaque instant dans mes créations. Au début, je me disais, « je ne suis pas artiste, je suis graphiste ». Et pendant des années, dès que j’entendais le mot plasticien, je répondais « dans mon pays le mot plasticien c’est une injure !»

Et finalement, à force de dire « je ne suis pas artiste, je suis graphiste », j’ai bien dû me rendre à l’évidence… j’étais devenu un plasticien. Parfois on vire sa cuti comme ça. Après il faut assumer le fait d’avoir une démarche bâtie, cohérente autour d’AKIZA. Avec la galerie qui est une œuvre à part entière, une des tentacules d’AKIZA, qui pour exister, doit répondre à des impératifs de réalité et de rentabilité. C’est la seule solution pour que l’aventure continue et que le lieu soit pérenne et ne soit pas qu’un feu de paille.

Je n’ai plus du tout de problème avec le mot artiste. Surtout depuis que j’ai dévoré une douzaine de fois (une fois de plus à la relecture de cette interview, mais le mot douzaine était bien exagéré) la biographie de Warhol, qui reste sur ma table de chevet. Il reste pour moi un des artistes majeurs pour ce côté calculé, conceptuel, cohérent, inspiré et opportuniste que l’on retrouve d’un certain côté chez Dalí. Dans les 2, il y a une construction du personnage et de l’œuvre. Même si je ne suis pas dans cette direction là, parce que ce n’est pas ma personnalité. Je préfère mettre en avant AKIZA plutôt que de faire un numéro de claquettes ou de porter un masque. C’est trop fatiguant de rester dans un anonymat. Mais bon, ce n’est pas le sujet. C’est une démarche que je trouve vraiment très intéressante. AKIZA et ses différents secteurs sont des parties d’une œuvre, d’un projet artistique global et pluridisciplinaire.

Qui se nourrissent les uns des autres. On avance bien. Ce qui est génial c’est qu’il y a plein de choses sur lesquelles tu m’as devancé. Akiza en elle-même, qui est-elle ? Une poupée ? Un objet ? Un personnage ? Vivante ?

Vivante, oui et non. C’est une construction artistique donc elle est vivante. Elle est aussi vivante comme un personnage de fiction puisqu’elle interagit avec les gens. Et que les gens interagissent avec elle quand ils décident de faire du chemin pour venir à la galerie ou de porter un t-shirt AKIZA ou d’accrocher une toile sur leur mur. Elle influe sur la vie des gens. Donc elle est vivante, elle appartient à la réalité.

Elle est notre personnalité à tous les deux. Légère, froide, malicieuse, obstinée, monomaniaque, obsédée sexuelle, qui sont présentes à un degré ou à un autre chez YoSHii et moi. C’est un personnage féminin. Justement tu as dit « elle » au début. C’est une poupée. Je pense qu’une des raisons du développement d’AKIZA en moi, de la décision de lui donner une suite, de m’accrocher, de faire ça, c’est aussi la surprise d’avoir fait une poupée, d’avoir donné naissance à un personnage féminin. Rien dans ce que j’avais fait avant ne m’y prédisposait. J’étais vraiment dans la calligraphie, le graphisme, la conception de logo, de lettrage pour des groupes, de pochettes d’album. Mais pas dans l’illustration, dans la création d’un personnage. Je n’ai jamais été attiré par les poupées, ni collectionneur de ces choses. Cela a vraiment été une surprise. C’est un ami qui est à Lille, un graphiste extraordinaire, un vieux punk d’une gentillesse et d’une compétence, Jean-Jacques Tachdjian qui m’a demandé des dessins pour un Fanzine de son association « Sortez la Chienne ». Il est du coup devenu le parrain d’AKIZA. Je ne faisais pas d’illustration, au sens où il l’entendait. Il m’a dit « si, si, débrouille toi ». Du coup, je me suis forcé, j’ai fouillé au fond de moi et sont nés plusieurs personnages, dont la première version d’AKIZA que j’ai dessiné comme une petite fille, bébé, adulte, obscène. La première version était à la fois très minimale et très obscène, avec pas beaucoup de choses et construire autour de cette bouche ouverte.

J’y reviendrai après ; pose-moi plus tard une question sur la bouche ouverte. Donc AKIZA est née de cette bouche ouverte, d’un vagin et d’un anus, extrêmement simplifiés, géométriques. Donc vraiment comme un espèce de poupée érotique, bâtie sur 3 orifices sexuels et en même temps complètement asexuée parce qu’extrêmement minimale. J’ai pu dire dans quelques interviews au début, qu’AKIZA était érotique comme un couloir d’hôpital. Après par la suite, dans toutes ses incarnations, elle a pu avoir un aspect beaucoup plus sexy, plus pin-up. Mais le point de départ, c’est cette espèce de blague pornographique, froide et décalée. AKIZA n’est pas érotique comme un slow sur la plage au coucher du soleil mais vraiment vicieuse comme un logo de banque ou de compagnie d’assurance.

Froid et en même temps à montrer tellement tout ça qu’en fait elle n’en devient pas forcément repoussante mais en tout cas elle laisse un peu sous le choc. On a du mal à l’envisager comme quelque chose de très sexuel parce qu’elle est…

…elle a ce côté enfantin. Il y a des références à des artistes comme Hans Bellmer qui a tellement travaillé l’érotisme de la poupée. Il y a vraiment, pour finir par rapport à ça, ce personnage féminin qui du coup était surprenant venant de moi et que j’avais envie de creuser. Je pense qu’elle est la projection de ma part féminine. J’ai envie d’explorer ces femmes que j’aurais pu ou voulu être si je n’étais pas né garçon. C’est une exploration, une dissection de l’aspect assez varié de la féminité mais dans une logique décorative, un peu sombre et industrielle. Avec tout cet univers autour où elle est attachée, bâillonnée, toujours un peu surprise d’être là, de se retrouver là. Faussement surprise. « Mais qu’est-ce qui se passe, qu’est-ce que je fais là ?».

Étonnamment, avant de parler de la bouche, il y a la coiffe si emblématique même si elle n’est pas présente dans chaque œuvre. C’est un des éléments récurrents d’AKIZA, avec l’œil (tel qu’il est dans dans son visage ou avec des versions récentes plus complexes) et la bouche. Des éléments qui font qu’un dessin AKIZA est vraiment reconnaissable en un coup d’œil. Ça c’est l’héritage graphisme et Warholien des choses. La coiffe c’est une photo d’un siège de tracteur en fonte. Ce sont les trous, la contre-forme d’un siège de tracteur que j’ai photographié dans la ferme de mes parents dans les Alpes de Haute-Provence. C’est assez amusant que l’objet artistique qui nous pose et qui nous donne une certaine légitimité (voire soyons fou une petite célébrité) dans un milieu artistique, rock, gothique, fétichiste, parisien garde cet élément vraiment inscrit en elle-même, un siège de tracteur de la ferme en Provence où j’ai grandi.

Je suis né d’une famille de personnes qui ont beaucoup voyagé, qui ont eu des vies complètement folles, avec des métiers qui n’existaient pas. Je les ai vus travailler comme des fous, mais pas pour quelqu’un, travailler aux heures qui leur chantaient, avec énormément de volonté, en faisant le choix de suivre leurs passions et de construire une vie hors des cases. C’est ce qui m’a fait suivre ce parcours un peu à côté des normes, et finalement très sage par rapport à eux. De garder ce brin de folie dans la construction. C’est un trait de caractère qui est très présent chez ma chérie aussi, équilibre entre construction logique et folie, principes de réalité et d’irréalité, mais qui ne sont pas vraiment dosés pareil chez l’un et chez l’autre. C’est là dessus aussi que l’on s’est vraiment bien trouvé. Voilà que le petit personnage, la poupée qui m’ouvre les portes de milieux où je n’aurai jamais imaginé rentrer quand j’étais lycéen porte un petit peu de la boue des champs des Alpes de Haute Provence où je suis né. C’est assez… cocasse.

Cela vient rappeler tout ça. Et en même temps… sans le montrer.

Voilà. Il y un petit ingrédient qui fait que je n’oublie pas d’où je viens. Même si je ne viens pas d’une famille d’agriculteurs. Ce sont des gens qui ont fait le choix, après avoir beaucoup voyagé, de s’installer à cet endroit et de cultiver la terre, de faire du miel, d’écrire des livres et de collectionner des voitures anciennes. D’où le rapport aux pièces automobiles que l’on retrouve dans AKIZA. Pour la coiffe, cela vient de là. Je l’ai gardée depuis le début. Ce qui est toujours étonnant quand j’y repense, étant venu à AKIZA par la calligraphie, je pense en noir et blanc, et en deux dimensions. Hop… question d’après : Pourquoi le noir et blanc ?

Cela faisait partie de mes questions.

Parfait. Deux dimensions. Même s’il y a des semblants de 3ème dimension avec des éléments qui passent devant d’autres dans mes dessins. C’est vraiment construit à plat. Même après 10 ans, je n’ai aucune idée de ce à quoi peut ressembler AKIZA en volume. Je ne me pose jamais la question. Cette fameuse coiffe, qui est si particulière et qui fait son identité… Comment fonctionne t’elle ? Est-ce qu’elle sphérique, concave, convexe, plate ? C’est une bonne question, à laquelle on répondra peut être un jour en collaborant avec un sculpteur. Mais pas forcément. J’aime bien ne pas apporter de solution.

Elle est en 2 dimensions et en même temps…

Non elle n’est pas en 2 dimensions. Elle est. Et c’est tout (Sic).

C’est assez étonnant parce qu’en fait, la calligraphie pour moi c’est entre le dessin et l’écriture, un mélange. D’une certaine manière, par rapport à AKIZA, je ne sais pas s’il y a un trait qui se tisse. Pour moi, la calligraphie est entre l’art et la philosophie, dans l’idée du prolongement avec la main de pensée ou de mot qui passerait, se retrouverait projeté sur une feuille et donnerait vie à quelque chose. On peut dire les choses, ou on peut les écrire et les dessiner. C’est une autre manière de donner vie.

L’idée romantique de la calligraphie comme l’interprétation philosophique tient jusqu’à un certain niveau. Cela peut être un aboutissement, mais avant d’en arriver là, il y a quand même tout un travail de technique et de maîtrise. Je pense que le parallèle le plus évident que je peux trouver entre écrire et calligraphier, c’est comme parler et chanter. On peut soutenir un texte quand on chante mais on peut aussi chanter de manière abstraite ou dans une langue que l’on ne comprend pas. C’est pareil pour les calligraphies orientales ou illisibles où l’on se dit, c’est magnifique, ce sont des merveilles de rythme et de construction. On y arrive à travers une maîtrise technique et le rendu peut être connecté à ce que l’on veut dire, ou pas forcément. Cela devient un exercice artistique en lui même, qui peut être séparé du langage. Certains calligraphes font des abécédaires ou des abstractions parce qu’ils n’ont pas envie quand on regarde leur travail, que l’on se dise « Tiens qu’est-ce qu’il écrit bien ce Saint-Exupéry » ou que l’on fasse une réflexion sur la qualité poétique ou littéraire des mots alors qu’ils ne présentent, et ne veulent présenter, que de la lettre écrite pour sa propre beauté. La calligraphie est une façon de magnifier l’écriture dont elle peut soutenir le sens, ou non. L’orgueil, ou la liberté, du calligraphe peut aller jusqu’à nier la lettre dont il tire son pouvoir.

Effectivement, sur cette idée du noir et du blanc, c’est le sentiment que ça donne quand tu t’exprimes, qu’avec ces deux couleurs tu dis tout ce que tu as envie de dire. Il n’y a pas besoin de passer par la gamme chromatique. Avec ces deux couleurs, c’est pleinement suffisant et nécessaire de passer à travers elle. Comment cela vient ? Cela fonctionne ?

À la fois, AKIZA est en noir et blanc très tranchés. Il n’y a pas de gris. Le gris c’est pour les plasticiens. Et en même temps c’est un univers tout en subtilités, en demi-teintes et en suggestions. J’utilise le contraste maximal et le plus violent pour dépeindre un imaginaire par petites touches, par quelque chose d’assez onirique, d’assez complexe. Je ne sais pas comment j’en suis venu là. Par la calligraphie certes mais d’autres personnes qui ont suivi le même parcours que moi ne travaillent pas pareil, n’ont pas le même amour du noir et blanc.

Je me rappelle que la dernière année de mon école d’art, je faisais tout en noir et blanc. Même les cours de peinture, nature morte, paysage, nu. Je m’étais mis d’accord avec le prof de peinture et j’arrivais avec un tube de noir et un de blanc. Je peignais la même chose que les autres mais en noir et blanc. Avec des niveaux de gris pour le coup. Ça me convenait vraiment comme ça.

En fait, la couleur c’est très étrange pour moi. J’ai l’impression de ne pas maîtriser du tout. Mais je suis très admiratif des gens qui savent bien la manier. Je ne rêve pas d’un monde en noir et blanc uniquement, je n’expose pas que des œuvres en noir et blanc dans la galerie. Je vais avoir les mêmes rapports à la couleur qu’à la musique. Il y a des gens qui savent très bien jouer de la musique, je préfère les écouter plutôt que moi d’essayer de faire de la mauvaise musique. Cela ne veut pas dire que, si je ne pratique pas la musique, je suis contre la musique. C’est juste que j’ai un peu essayé et que certains savent faire ça très bien. La couleur c’est pareil. Je la laisse aux gens qui savent faire. Moi j’ai l’impression d’arriver à dire mieux, et plus, en noir et blanc qu’en couleur.

Mais mon travail ne garde pas forcément la couleur à distance. Un aplat de couleur est intéressant dans la composition. AKIZA avec du rouge, du rose, du orange ou du violet, cela fonctionne toujours bien. Et un t-shirt AKIZA porté avec un pantalon rouge cela fonctionne très bien. Ou une toile posée sur un mur de couleur aussi. Il n’y a pas besoin d’un environnement en noir et blanc pour que cela fonctionne.

Je dis « mieux et plus » en noir et blanc mais, parfois, je me dis quand même… je vais mettre de la couleur et j’essaie de commencer une création avec du rouge ou du rose dans mon noir et blanc mais au fur et à mesure que le dessin évolue et se construit, je m’aperçois que la couleur était juste une béquille pour faire tenir la composition. Dès que le dessin est plus fort et avancé, la couleur devient pour moi tellement anecdotique que je peux l’enlever. Il y a vraiment beaucoup de fois où je me suis dis « allez, on va en mettre » et elle finit toujours par partir à la fin parce que ce n’est, pour moi, qu’un artifice de composition.

Maintenant ça va mieux. Mais la couleur me paraissait tellement étrange et étrangère que quand j’en mettais dans une création et que c’était réussi, si quelqu’un me félicitait pour cette couleur, j’avais l’impression que l’on félicitait quelqu’un d’autre. Imagine que tu fasses un dessin. Tu es très content. Tu y mets tout ce que tu veux y mettre. Tu le finis. Tu vas voir des proches. Tu leur montres en disant « Regarde et dis-moi ce que tu en penses », et qu’ils te répondent « Oh, mais ce papier… il est formidable » et qu’ils commencent à s’extasier devant le papier, la feuille elle-même. Tu te dis qu’on s’en fiche, ce n’est vraiment pas intéressant. Ça pourrait être ce papier mais ça pourrait en être un autre. Ce que je te montre, c’est mon dessin, ce n’est pas le papier… Et bien, j’ai le même rapport avec la couleur. Si une couleur n’est pas réussie dans mon tableau, elle n’a aucune raison d’être et ça ne fonctionne pas. S’il y a une couleur réussie dans mon tableau, les gens vont aimer mon tableau pour une mauvaise raison. Pour une raison dont je n’aurai pas été parfaitement conscient et décisionnaire. Comme si on s’extasie sur la qualité de mon cadre alors que j’ai passé 15 jours à peindre mon tableau. Et qu’une personne me dise « Qu’est ce qu’il est beau ce cadre !». Oui, certes. Mais ce n’est pas ce que je te montre.

Elle est presque complémentaire. Dans le sens où c’est un à-côté, qui n’est pas forcément l’aboutissement du projet. Donc effectivement ce n’est pas là que tu as envie que l’œil se focalise pour reconnaître un travail extraordinaire. Ce n’est pas magnifique parce qu’il y a de la couleur.

Qu’un rouge ou qu’un bleu soit beau, certes. Mais je n’y suis pour rien. Alors qu’une courbe soit belle ou qu’une construction soit belle, là j’y suis pour quelque chose. Même si c’est extrêmement difficile de maitriser les couleurs. Je suis très admiratif des artistes qui savent l’utiliser, qui en font quelque chose, qui la domptent. Pour moi c’est une créature trop capricieuse et mystérieuse.

A éviter. Pour ne pas se retrouver.

On peut se retrouver ensemble par malentendu. On peut faire un petit bout de chemin ensemble. Mais voilà.

Pas de démêlé avec la couleur. Pour en revenir à AKIZA au fait d’être une poupée, un objet qui prend vie. Il y a la bouche, il y a dans les yeux et dans les mains des autres qu’elle va prendre vie, chacun va y inventer quelque chose. Suivant comment on va la regarder, du plaisir au désir, soumise ou dominatrice. Elle est réinventée par les gens qui la regardent.

Ça, bien évidemment. Comme pour toute œuvre, pour toute création. Il y a une part d’alchimie qui est difficile à prévoir. Pourquoi il y a des succès, des choses qui fonctionnent. Pourquoi les artistes font un morceau formidable à 20 ans et puis après n’arrivent jamais à refaire pareil et passent leur vie à déprimer. Si cela a marché à un moment pourquoi cela ne fonctionnera pas plus tard ? Mais non. Il y a des ingrédients, des recettes, et cela peut faciliter des choses. Mais la manière dont un artiste rencontre son public est toujours très mystérieuse. Il y a des gens, très doués, qui ont des choses à dire. Et puis… à couper au montage, des personnes maladroites et calculatrices comme Codex, qui ont un succès fou avec des personnes à la fois qui le suivent pour le Street art et d’autres qui suivent pour d’autres raisons. Je suis étonné par l’alchimie très forte entre les créations d’une personne, autodidacte, assez géniale, qui n’a pas pris de cours de dessins, qui ne sait pas dessiner au sens académique du mot. Il y a un côté art brut, art naïf dans sa manière de faire et ça a un impact. Quand je dis, ne sais pas dessiner, c’est comme ne pas savoir jouer, comme un groupe de punks qui fait un truc fabuleux.

Comme AKIZA est un univers très mystérieux, les gens peuvent y projeter beaucoup de choses. Ou non. Il y a des gens à qui cela ne parle pas du tout. Ça arrive et tant mieux. On ne peut pas plaire à tout le monde. J’ai pensé au début à scénariser les choses, avec des personnages autour d’AKIZA pour donner du sens à travers une histoire. Des personnages qu’on a pu retrouver surtout au début et qui n’ont pas forcément la tête de la poupée. Finalement ça ne tenait pas. Je trouvais toujours ça un peu facile, léger, superficiel. Un peu comme la couleur. Et du coup, je préfère présenter tout ça comme ça. Les images d’un coup, sans histoire. Les gens auront plus du chemin, peut-être, à faire pour rentrer dans cet univers mais le côté immédiat et graphique, et en même temps délicat, va les guider. Et ils pourront ressentir des choses assez fortes si ils poussent un peu leur exploration.

Par rapport à d’autres mondes, pour les avoir vu aussi dans la rue au départ, on a cette puissance de regard qui m’interpelle toujours dans le côté d’être regardé. En même temps, de me pousser à regarder le détail, de m’enquérir de ce que cela peut symboliser ou pas. J’imagine aussi qu’il y aurait plein de descriptions différentes de tous ces petits détails la coiffe, le corps. De se rendre compte que cela est tiré de choses urbaines, de câbles.

Beaucoup d’éléments, de parties du quotidien, se retrouvent dans AKIZA et apportent une familiarité, un peu biaisée. Une familiarité inquiétante. Unheimlich, une inquiétante étrangeté dans une univers familier. Comme un trouble apporté par quelque chose de familier un peu dévoyé, au milieux d’éléments inconnus. Il y a un autre axe dans AKIZA: la représentation du corps. Les limites de représentation du corps et sa négation ou non.

C’est Amélie Nothomb qui avait relevé ce point, dans une interview donnée au milieu d’une de nos expositions. Elle suit notre travail et a donné plusieurs fois des interviews entourée d’AKIZA, et à la galerie aussi il y a quelques mois. Elle parle très joliment de ce que l’on fait. Amélie avait attiré mon attention sur le fait que c’est juste parce qu’il y a une tête au dessus que l’on peut comprendre que le dessin représente un corps. Des fois AKIZA a des bras, des jambes. Enfin des jambes pas souvent… Elle peut avoir une silhouette plus humanoïde ou des fois son corps est un amas de câbles ou de tentacules. On serait à deux doigts de l’abstraction ou de la calligraphie si le visage ne permettait de dire que ce qu’il y a au dessous est un corps. C’est bien cette chose étonnante et abstraite qui notre corps ? De quelle manière on se voit ? De quelle manière on voit les autres ? Il y a vraiment un rapport très fort dans AKIZA au reflet, à l’identité, au rapport à son propre corps et l’image que l’on s’en fait et à celui des autres.

Un autre grand axe pour comprendre est l’Un et le Multiple. Elles se ressemblent toutes en étant différentes, comme les gens que l’on croise dans la rue qui des fois nous paraissent tous avoir le même visage. Parce qu’on est mal luné. Sans parler des peuples auxquels on est moins familier. Et d’un seul coup, dans un pays étranger, tous nous paraissent avoir la même tête. Comme on paraît tous avec la même tête pour eux au premier coup d’œil. Puis il y a des gens différents au milieu de ça. Des singularités. Ce rapport au clonage, à la reproduction, à l’évolution, en quoi suis-je identique ou différent des personnes qui m’entourent ? L’un et le multiple, en tant qu’individu. Parce que ce ne sont pas des objets inanimés. C’est une poupée et on projette en elle toute une part d’affect, qui est assez importante.

Le corps et son abstraction. Identité et multiplicité. Et le langage qui est connecté à ces autres axes, c’est la bouche d’AKIZA. Il y a quelques ingrédients que j’ai réuni dès le tout premier dessin. C’était fin de l’été 2003, juste après la canicule. Le personnage d’AKIZA, dans sa première version, est né en quelques secondes, quelques minutes ou heures de composition, recherches. Il y avait cette coiffe, ces yeux, cette bouche, ce petit nez et quelque chose en dessous qui a évolué. Cette bouche est vraiment voulue comme une bouche ouverte de poupée gonflable. J’aime qu’il y ait encore une ambivalence. Comme la bouche est en 2 dimensions on ne sait pas si elle est convexe ou concave, si c’est une bouche ouverte ou remplie. Pour moi, elle est plutôt ouverte parce que des fois je mets des choses dedans. Mais beaucoup de personnes, et cela me convient très bien, voient AKIZA avec un bâillon dans la bouche.

Donc on rentre dans toute la partie fétichiste, contrainte d’AKIZA. Et sur le côté limitation et possibilités du corps. Contrainte ou servitude volontaire qui permet de magnifier une personne, d’arriver à autre chose. Cette bouche est ouverte comme celle d’une poupée gonflable, avec ce côté pornographique et glacial en même temps. C’est monstrueux une poupée gonflable. Ce n’est vraiment pas attirant. Je ne vois pas qui peut avoir envie de serrer une poupée gonflable dans ses bras. La classique des années 80, on s’évanouit de peur si on la croise au détour d’un couloir.

Cette bouche figée qui est censée être un organe sexuel et qui fait peur. Cette bouche ouverte, comme un sexe au milieu de la figure. C’est quand même marquant. La bouche est un organe sexuel aussi important que les autres. On a quand même un sexe qui sert à plein d’activités pleinement pornographiques et qui est en plein milieu de ce visage que l’on présente aux autres. Ce n’est pas comme les fesses de quelqu’un, qui sont cachées. Cette bouche en tant que chose que l’on présente à tout le monde, en tant qu’organe sexuel, figé et artificiel dans la poupée gonflable. J’ai tout de suite fait le lien avec le Cri de Munch. Cette espèce de cri figé.

Dans AKIZA, les choses sont nées et sont venues à moi. Il y a plein de choses que j’ai dû accepter. Le personnage s’est construit en prenant des éléments qu’elle m’a rendu à son tour un peu plus tard. Elle a presque son caractère. Il y a des choses que j’essaie de faire avec elle et je n’y arrive pas. Et d’autres qui viennent, qui s’imposent, et je n’ai pas d’autre choix que de les accepter et essayer éventuellement de les interpréter. Cette bouche que j’ai faite au début, je l’ai gardée alors que j’aurai pu la changer ou la modifier. Je l’ai vraiment trouvé marquante, comme un grand cri muet. C’est le rapport au langage, après le corps et l’identité. Ici, la possibilité ou l’impossibilité de parler, de s’exprimer. Où ce que l’on dit n’est jamais ce que l’on veut dire. Où on est tous, un petit peu, des poupées avec les yeux écarquillés, un peu surpris d’être là, à vouloir dire quelque chose que l’on arrivera jamais à dire. Et cet orifice par lequel on aimerait bien pouvoir exprimer un truc qu’on pense vraiment, et on n’y arrive pas, mais où la société, les autres, le monde et ceux qui nous entourent font entrer des choses pour notre plaisir ou notre déplaisir. C’est la bouche. Le fait qu’elle soit ouverte et figée, c’est un tunnel bloqué en position ouverte, ou fermée si on considère que c’est un bâillon. Peu importe, ouvert ou fermé c’est finalement la même chose. Et j’aime l’idée de l’ambivalence. Sur tout ce qui va sortir, la communication, et tout ce qui va rentrer, nourriture, sexe. Le rapport avec l’extérieur.

Se joue un passage entre le dedans et le dehors.

Voilà. Du dedans au dehors, sur le fait de ce qui sort d’une bouche, avec l’aspect sexuel, nourriture et communication. Les 3 sont extrêmement importants dans le pourquoi de cette bouche.

On pourrait se dire avec toutes les précautions de langage que l’on nous inculque étant petit, qui doit sortir de la bouche des choses châtiées et qui se retrouvent à d’autres moments dans des choses sexuelles, qui sont complètement tabou, où l’on n’ose même pas imaginer que c’est le même endroit qui voit vivre tout ça. De surtout pas s’imaginer ce que la bouche de l’autre peut avoir. C’est assez symbolique. Je me faisais une autre réflexion quand on parlait de symétrie ou de presque symétrie. On a tendance à croire que notre corps est parfaitement symétrique alors qu’il y a toujours des imperfections. En tout cas la presque symétrie est là finalement. C’est aussi quelque chose qui se retrouve dans le corps. Il y a toujours un petit décalage, un petit rien.

Le langage qu’AKIZA peut, ou ne peut pas, tenir par sa bouche, elle le tiendra par son corps. C’est son corps qui est l’élément codé, explicatif et narratif de sa situation. Comme nous aussi. Ce sont nos vêtements, la manière dont on gère notre corps, ce que l’on en fait, si on le muscle, si on grossit, si on le tatoue. Le langage corporel est aussi important, voire plus important, que la communication verbale pour se faire une idée d’une personne.

Cela va véhiculer forcément quelque chose.

Avec toute la suite de décisions prises dans notre vie, de choses volontaires ou que l’on a subies, on est responsable et pas responsable de son corps en même temps. À peu près responsable de la manière de s’habiller. Plus ou moins de sa gestuelle.

Sur la symétrie. Quelqu’un est entré, il y a quelques jours, dans la galerie en regardant une peinture de Dimitris Ntokos, un artiste grec. C’était un grand scarabée doré dans l’entrée et il a dit « qu’est-ce que c’est symétrique un scarabée ». Oui. Comme tout. Comme tous les êtres vivants à part le crabe violoniste, et encore. Je trouvais ça étonnant que cette personne le remarque pour un scarabée alors que son chien et sa femme sont symétriques aussi.

Là cela avait une importance, alors que ça l’est presque dans tout ce que l’on regarde. Globalement.

Un vélo, une voiture, un avion, une chaise. Beaucoup de choses, vivantes ou construites, sont symétriques, ou presque.

Suivant des fois dans quelle dimension on les regarde. Par rapport à un enseignement artistique, tu répondais tout à l’heure. C’est une série de questions sur la technique de création d’une Akiza. À partir du moment où tu crées une œuvre, est-ce que tu as des intentions que tu notes sur papier, des croquis ? C’est par ordinateur après qu’elle sera composée ? à partir de photos également que tu prends ? Comment elle se conçoit ?

C’est un peu tout ça. Il y a des idées, des prises de notes quand je fais un dessin dans un but particulier. Une petite parenthèse… C’est quelque chose que je fais régulièrement. Certaines AKIZA sont des portraits d’une personne. Soit à qui je l’ai proposé, soit qui me l’a demandé. Comment représenter de manière mi-symbolique, mi-figurative, minimale et codifiée une personne par une petite poupée qui aura le même visage. À quelques détails près comme la forme des sourcils, des cheveux, piercings ou lunettes. Tout le corps de cette AKIZA va être construit en fonction de ce que me dit la personne, de sa personnalité, de ce que je ressens, de ce que je vois, de la manière dont elle se voudrait. Je fais répondre à un questionnaire type portrait chinois, qui me permet d’avoir les informations pour dessiner cette poupée particulière.

Dans ce cas là, je fais des croquis. Je réunis des informations. Je prends des notes. J’y réfléchis beaucoup. Je suis relativement peu causant, vraiment dans la cogitation. Puis après je vais à la pêche visuelle. Je réunis beaucoup d’éléments. J’ouvre pas mal de livres. Je passe du temps sur internet à chercher des images qui vont m’amener à quelque chose, à réutiliser des parties. Je pioche dans mon stock de photos et mon répertoire de formes, de choses photographiées dans la rue, des éléments. Je réutilise parfois des morceaux de dessins précédents, qui vont être recyclés.

Un assemblage va se créer.

Et après, il y a des formes qui sont dessinées exprès. Des morceaux scannés et des morceaux de calligraphie peuvent se composer avec des éléments dessinée directement en vectoriel ou des bouts de photos. Des fois c’est la fusion entre tout ça et je commence à associer. C’est de l’art combinatoire, une logique mathématique. Finalement après toutes les études de sciences, il y a un côté entomologiste.

Quand on me demandait plus jeune ce que je voulais faire, j’ai souvent dit Savant Fou. Je voulais être le docteur Frankenstein, le docteur Moreau. Pousser un grand éclat de rire, avec un éclair qui passe derrière, en hurlant « IT’S ALIIIIVE ! ». Dès la première réunion d’orientation au collège, je me renseigne sur les études pour devenir Savant Fou. Donc du coup, j’ai logiquement suivi un parcours scientifique. Je me suis rapidement aperçu que le quotidien des chercheurs n’était pas palpitant et que l’on ne créait pas des races de mutants ou des bombes terrifiantes, mais très drôles, chaque matin. J’ai découvert la calligraphie. Et finalement… quelques années plus tard. J’ai donné naissance à cette forme de vie mutante, à peu près domestiquée, que je regarde grandir et qui me dépasse totalement : AKIZA. Le côté laboratoire du Savant Fou, je ne l’ai pas fait dans la réalité d’un laboratoire scientifique mais dans celle d’un laboratoire artistique.

Il y a vraiment un rapport à la surprise, en combinant des éléments avec une idée, quitte à repasser par une autre idée, avec des méthodes d’association, de cohérence visuelle, de langage symbolique, d’efficacité, d’élégance, de rythme. Enlever, rajouter. C’est très mouvant. Cela évolue. Cela pourrait être amusant de filmer en accéléré le processus de création d’une poupée. En une heure, j’arrive à quelque chose de satisfaisant dans l’idée que j’en avais. Des fois il y a quinze jours de boulot pour arriver à faire une AKIZA finie et qui me paraisse aboutie, cohérente, avec suffisamment de force et d’élégance pour que je me dise « cela fonctionne ». Même si on peut toujours retoucher, avec 150 variantes et ne plus savoir laquelle choisir. Puis j’appelle YoSHii à la rescousse : « Laquelle tu préfères ?».

J’imagine cette composition là. Et à un moment donné, elle vit d’elle même.

Les formes ont leur propre langage. On peut travailler des heures, des jours, des mois sur des toiles abstraites, une vie pour essayer de les aboutir et de développer son langage et que finalement quelque chose dans une image ne fonctionne pas. Arriver à ce que cela fonctionne comme une machine. Il y a toujours de la surprise. Quand je commence un dessin, en le voyant clairement dans ma tête, en me disant « C’est bon, je l’ai, je la vois devant moi, je vais la faire comme ça ». Soit je n’y arrive pas, soit c’est complètement inintéressant. Je suis toujours surpris. C’est beaucoup de réflexion en amont. La naissance d’une AKIZA se fait les mains dans le cambouis, dans la confrontation avec la réalité, des formes, des contre-formes, des courbes et des éléments symboliques qui deviennent un jeu de mécano.

Et ce dialogue qui s’instaure entre elle et toi. Presque avec ce qu’elle a envie d’exprimer. A des moments, peut être comme tu le dis, à rejeter des parties.

Exactement. Des éléments peuvent ne pas fonctionner ensemble. Des fois, j’essaie de mettre plusieurs AKIZA déjà créées pour faire une composition plus vaste, ou un résumé de mon travail pour une présentation. Et même si le style AKIZA peut paraître cohérent. Certaines ne vont pas du tout ensemble, parce que ce sont des éléments, des formes, des tensions, des courbes qui sont antithétiques.

Des fois la clé de sortie d’un dessin c’est presque comme un casse-tête. Il faut trouver la solution. Des fois ce sera ajouter un nouvel élément ou bien en enlever. Je vais parfois me battre pendant des heures pour assembler quelque chose. Rajouter éléments après éléments pour les faire tenir ensemble et puis à la fin enlever le premier qui n’a plus de raison d’être. Ce que j’ai bâti autour du premier, pour le faire tenir, a finalement acquis une vraie légitimité visuelle, une vraie raison d’être, une vraie cohérence. Ce premier élément graphique aura été une étape ou une béquille, comme un échafaudage de construction. Je suis toujours surpris, à la fin, par une nouvelle création.

À partir du moment où elle est créée, généralement après tu « l’appliques », elle se met à vivre sur quel support ? C’est sur une toile, sur de l’émail. Dans la rue elle peut être en pochoir ou en sticker?

Les deux. Le sticker est plus proche des formes exactes que je fais. C’est un très bon instrument. Même si je suis amoureux du pochoir, de la manière dont le dessin évolue, de l’accident, de la coulure. Ce n’est pas le même travail. Les deux vont bien ensemble. Il y a des parties différentes : des sérigraphies papier, des t-shirts, des pièces uniques, des toiles qui sont faites sur une méthode personnelle de pochoir. Toutes faites à la bombe, avec des masques autocollants. J’ai ma petite technique, avec une savante, et des fois aléatoire, alchimie de temps de séchage, de couches de peinture. Il y a 7-8 couches de peintures sur chaque tableau. Avec des masques entre les couches. Puis j’enlève cette partie là, qui est détruite pendant le processus. Et à la fin il n’y a plus que de la peinture sur la toile.

Voilà, avec les accidents qui sont venus de ce processus de production artisanale qui amène encore des surprises, en générale bonnes, parfois mauvaises. Des craquelures. Des infiltrations de peinture. Puis après cultiver le petit accident, en travaillant dessus. Ou des fois un rendu accidentel m’a paru absolument catastrophique sur le moment. Et puis, avec un peu de recul, être ravi de cet accident et parfaitement bien l’assumer en expliquant, à tout le monde, à quel point j’avais bien fait exprès.

On est à se poser la question à savoir : est-ce déjà arrivé ou pas, qu’AKIZA soit mise en illustration dans un livre ?

Oui. Il y a eu. Dans des recueils littéraires. Un monsieur barbu est venu me voir hier pour un projet d’édition. Une histoire fétichiste, avec des masques à gaz et des dirigeables. Il doit m’apporter le texte bientôt. Ça pourrait être amusant. Après je suis toujours ouvert à ce genre de collaboration, dans la mesure où mon emploi du temps me le permet, où il y ait un réel intérêt, ou du donnant-donnant en temps et en visibilité.

L’univers d’AKIZA ne demande qu’à dialoguer avec d’autres éléments extérieurs ou à être utilisé comme illustration. Pour un texte, j’ai parfois un dessin déjà prêt qui peut fonctionner. J’aime assez le sujet imposé.

Pour revenir à ce que je disais sur la construction, c’est souvent celle qui me demande le plus de mal, où il y a vraiment un accouchement long et douloureux, avec beaucoup de remises en question existentielles, qui donne le résultat le plus intéressant à la fin. Des fois, cela se passe dans le sang et les larmes. Si j’arrive à trouver le temps de mener le processus à terme, ce qui a été le cas pour celle de Dalí, avec les escargots. C’était vraiment complexe pour arriver à une figure minimale avec pas beaucoup de traits, pas beaucoup de couleur.

Elle a pris son temps de maturation, de bouillonnement.

Elle n’a pas voulu se laisser faire comme j’imaginais qu’elle se laisserait faire. Il m’a fallu trouver.

Elles vont chercher en toi. Cela dépasse le créateur. Bien plus loin que ce que tu t’imaginais au début. C’est un aboutissement. Une joie aussi malgré la douleur et les difficultés. Dans l’idée de la création, d’être aussi dans les rues, sur des murs, de la provoquer à l’extérieur, est-ce que c’est quelque chose où tu vas t’inscrire en disant « j’y vais aussi pour qu’il y ait un écho, un message qui soit délivré aux passants, aux habitants, ou pas ». Est-ce que cela n’a pas d’importance pour toi ? Est-ce qu’elle va chercher à dire ailleurs ce que tu dis ici ?

Elle a à dire. Ce que je dis dans tout l’univers d’AKIZA n’est jamais simple. Quand on croise quelque chose dans la rue ce n’est toujours qu’un petit bout. En général les gens ne se doutent pas de tout ce qu’il y a derrière et sont assez surpris en feuilletant le livre, même s’il est sorti il y a 3-4 ans. Il y a tout ça dans AKIZA mais pas vraiment de discours politique. Parce que je ne pense pas avoir quelque chose à dire de plus intéressant que mon voisin et je n’aime pas les donneurs de leçon en art. Et tous les clichés où les CRS sont méchants, Bob Marley est cool, les caméras c’est mal et la drogue c’est bien. Si c’est pour raconter ça, cela ne me vient pas. Je n’en ai pas envie.

Comme Banksy, on peut avoir un côté simpliste dans le propos, mais c’est parce que le langage est simple qu’il est efficace. Certains s’en sont faits une spécialité comme Shepard Fairey, dont je suis fan graphiquement, mais qui est le chevalier blanc des bons sentiments à l’américaine. Je voudrai être plus égoïste, égocentré que ces deux là en me servant de la rue comme vitrine pour montrer mes dessins, travailler sur la dynamique d’invasion, de la reproduction, de la multiplicité.

Je n’ai pas réussi à tenir les comptes au début mais j’aurais bien aimé connaître le nombre de têtes d’AKIZA en circulation. À chaque fois qu’un t-shirt sort, qu’un journal est édité avec une image, un livre, rajouter au compteur. Par exemple livre MUTE = tant de centaines d’AKIZA dedans multiplié par tant d’exemplaires. Un tableau qui m’a demandé des heures et des heures de boulot = +1. Des flyers = + 50000. J’aurai voulu compter ces choses.

Elles ne sont pas forcément signées, notamment les stickers.

Non. Elles ne sont jamais signées. Parce que je n’aime pas signer mes dessins sur le dessin. C’est un petit peu le cordonnier le plus mal chaussé, d’être spécialisé dans la lettre et de ne pas arriver à faire un lettrage qui me convienne, qui aille avec mon travail. Même si des fois cela fonctionne quand je fais une dédicace de livre. Les tableaux ne sont pas signés devant mais au dos. Et là je me fais vraiment plaisir sur des signatures au pinceau, qui sont un acte de calligraphie, un retour aux sources.
Sinon je n’aime pas mettre des lettres trop près d’une AKIZA. Dans la rue je ne trouve pas ça nécessaire, même si en terme de communication c’est forcément plus efficace quand un Fred le chevalier ou un Codex Urbanus marque en toute lettre ce que c’est. Chaque fois je me dis que j’aurais dû le faire, et je l’ai jamais fait. Une contradiction de plus…

Peut-être, parce qu’issue de la la calligraphie et de la typographie, AKIZA est cousine des lettres. Et les mettre côte à côte, ça va forcément jurer. Comme deux nuances trop proches.

Dans certaines, comme celle qui est ronde, cela aurait pu en soi perturber la facilité de l’objet, à rajouter une partie qui au niveau de l’espace n’aurait pas eu sa place.

C’est quand même ma spécialité de graphiste que d’arriver à mettre une écriture avec un dessin. Je fais ça tout le temps sur les flyers, les mises en page. J’aurais pu trouver une solution graphique et élégante pour que cela fonctionne sans que cela paraisse un élément plaqué dessus. Mais ça ne s’est pas fait. Pour moi l’idée est que la tête d’Akiza est une signature en elle même. C’est très gonflé ce que je vais dire, mais Space Invader n’est pas obligé de marquer son nom dessus. Il est sur une démarche que je trouve admirable d’efficacité et de minimaliste, de construction. J’aurais aimé avoir la même. Qu’elles soient toutes différentes, qu’elles soient basées sur un plan. Ça c’est pas fait comme ça. Cela s’est fait de manière plus légère, moins calculée.

En même temps on les repère. L’univers. Les différentes formes que prend Akiza sont reconnaissables. Moi, pour avoir été avec des gens dans la rue, sans leur dire quoi que ce soit, ils m’ont interrogé en disant « c’est le même artiste que tout à l’heure ».

Il y a l’œil que je fais au pochoir à la bombe tout seul. Le grand œil détaillé qui n’est pas forcément reconnaissable en tant qu’AKIZA puisqu’il est d’une vibration visuelle un petit peu différente. Mais ce n’est pas grave. Le lien se fait ici dans cette interview, ou sur certaines images.

D’ailleurs en parlant de ce lien, c’est intéressant de se dire qu’il y a le travail sur les murs, qu’il y a cette place avec la galerie. Est-ce que cela est un moyen de s’ancrer ? Un lieu repère qui devient finalement une œuvre, une des entités d’AKIZA. Cela permet également de montrer ce que vous faites aussi. Un lieu où l’on peut trouver tout ce qui est dérivé, tout ce avec quoi les gens peuvent repartir. Mais est-ce que la création de cette galerie a été une étape importante pour vous ? Financièrement également dans l’idée de faire tourner la chose. Mais en même temps, dans les possibilités que cela a ouvert, dans les allers et retours que cela a dû créer.

C’est une grande aventure. C’est là où on se dit qu’AKIZA, sous ses airs de petite poupée soumise toujours attachée au bon vouloir et au plaisir de quelqu’un d’autre, de son créateur, est une sacrée dominatrice. Une garce qui ne se laisse pas faire dans les créations et qui a réussi à induire en quasi esclavage un couple et un petit chien. AKIZA la petite poupée soumise, laissez-moi rire. C’est un tyran pour lequel nous travaillons 7j/7, payés des clopinettes, pour à peine un merci puisqu’elle est bâillonnée. Esclave de notre créature. L’avenir nous donnera raison mais c’est fou le temps que l’on passe ici. C’est notre lieu de vie. À chaque fois qu’on essaie de finir un peu plus tôt pour aller voir une exposition ou aller au cinéma, pour faire quelque chose d’autre que la galerie, on n’y arrive pas. Et on reste là à bosser. En se disant que c’est maintenant que tout se joue.

Je trouve ça vraiment intéressant de faire venir les autres artistes ici. Cela permet de confronter mon univers aux leurs. De ne pas être jaloux quand ils réussissent bien ou qu’ils vendent plus que moi. Si d’autres artistes vendent mieux que moi, du coup je les expose chez nous. Ils serviront par leur travail la nébuleuse AKIZA. Il y a plein de rencontres formidables, d’échanges. On est arrivé dans une vie dédiée à l’art quasi 24h/24, dans tous les aspects de création, d’exposition, de production d’objets dérivés, de vente, de conseils, d’explications. Là j’ai voulu faire le choix de l’art et on y est. Le danger est que c’est tellement chronophage dans l’organisation, les accrochages, les cartels, la vente, la discussion avec les artistes, les événements que j’ai moins de temps pour AKIZA. Alors que c’était un projet destiné à nous donner la possibilité de vivre d’AKIZA. Du coup c’est une aventure fabuleuse, enthousiasmante mais extrêmement difficile et angoissante. Je n’arrive pas à produire autant que je le voudrais.

C’est une question que je me posais. Il y a des œuvres ici, AKIZA est là. Mais est-ce exposer les autres ici, à défaut de toi, ne pas être exposé ailleurs ? Ou est-ce que cela bouscule les possibilités et parfois t’oblige à ne pas répondre présent sur certains projets ?

Cela fonctionne dans l’autre sens. De temps en temps, il faut quand même rappeler que nous ne sommes pas que galeristes mais aussi artiste. AKIZA n’est pas que la décoration de la galerie. Il faut recadrer un peu les choses. De toute façon, l’artiste le plus doué dans la galerie, c’est moi. Par définition. C’est marqué en toutes lettres dans les statuts de la galerie.

Effectivement cela fait que je n’ai pas le temps de participer à tout. Je dois trier un peu. Du coup, je ne suis pas présent sur tous les petits événements sur les murs. Ou alors en les prévoyant bien à l’avance. En même temps cela permet d’avoir un espace d’exposition permanent. La galerie est notre jouet, notre terrain de jeu mais nous sommes aussi devenus ses jouets.

Au delà d’avoir des œuvres de manière permanente ou jusqu’à ce qu’elles soient vendues, est-ce que sur une expo où vous recevez collectivement ou individuellement des artistes, est-ce que tu essaies à chaque fois de créer des œuvres pour l’occasion ? De créer pour les personnes qui viennent ?

J’essaie. Mais ce n’est pas toujours possible. Il y a seulement 24h dans une journée et il faut des fois dormir, manger ou se changer les idées. Mais j’essaie de produire une ou des œuvres à chaque exposition. En plus des commandes. Par ailleurs on ne peut pas avoir la rotation des galeristes qui ne sont que galeristes et qui peuvent faire une nouvelle exposition toutes les 3 semaines. Nous sommes sur des accrochages un peu plus longs. Je ne dis pas qu’on fait mieux que les autres mais il y a plein de petits détails, auxquels on prête énormément d’importance, qui font que cela prend du temps de bien faire les choses. Il faudra peut être que l’on accepte un jour d’avoir des stagiaires à exploiter. C’est peut être une solution.

J’essaie de faire une fresque à chaque expo. Il y a un mur consacré à ça. En général je la peins la nuit blanche avant le vernissage, une fois que tout est accroché, parce qu’on est vraiment en retard. Une fresque AKIZA sur le thème de l’exposition ou une rencontre avec l’artiste présenté. Elle est recouverte à la fin et on devine les couches des fresques d’en dessous. Cela donne une matière extraordinaire. Pour les prochaines, je pense que je laisserai la main à des artistes pour, soit faire une collaboration, soit leur laisser complètement la main en disant « You’re my guest ».

Et donc, ce lieu là, être autant artiste que galeriste, c’est quand même une mission…

Il est déjà 20h. Je n’avais pas vu. Cela fait 2h que l’on discute.

On va se le faire rapidement. Combiner les deux, le côté rentable de la chose, par rapport à certains artistes que j’ai rencontrés à qui je demandais s’il était exposé, comment cela se passe, est-ce qu’il en vit, etc. Là c’est vrai que pour vous cela combine tout. Autant il faut vendre de soi et des autres. La rentabilité est-elle juste ? Est-ce tendu aujourd’hui ? Est-ce que se dessine un avenir plus serein ?

C’est un travail dont on ne peut pas faire l’économie à moins d’avoir un autre boulot ou d’être un riche héritier, de vivre de l’air du temps. Soit on prend un travail autre, ce qui est tout à fait respectable, pour assurer un salaire et s’occuper de sa création un petit peu sans avoir des impératifs de vente régulière. Soit on franchit le cap de ne faire que ça. C’est quelque chose qui ne m’a jamais posé problème. Si des fois c’est fatiguant et que l’on aimerait bien être déconnecté, ne pas regarder le compte en banque de la galerie chaque jour. Mais en même temps, la vente est un exercice que j’apprécie assez. J’aime parler de mon travail, j’aime parler de celui des autres. C’est même plus facile de dire du bien des autres artistes que de soi.. Il faut que j’arrive à parler de mon travail aussi bien que celui des autres quand je le présente. J’ai tendance à dire « lui est formidable, elle fait des choses géniales et puis ça c’est moi ».

Un exercice d’équilibrage par rapport à tous les artistes présents.

Où les autres ne sont pas des faire-valoirs de mon travail et où je ne suis pas non plus le faire-valoir des autres. En fait j’ai du plaisir à vendre, à placer des œuvres chez les gens, à trouver l’œuvre qui va aller avec la personne, déclencher des coups de cœur, rendre les choses possibles, amener de la beauté et du plaisir chez les gens, permettre à d’autres artistes de vivre. Ça peut être considéré comme le sale boulot mais quelqu’un doit le faire. J’ai peut-être des facilités à ce niveau-là.

Oui. Il faut que cet intermédiaire-là existe aussi pour que cela soit diffusé. Après je ne sais pas si l’on est mieux servi que par soi même dans ce cas. Mais là, vous faites tout. Bon là, on va se faire une dernière série de questions qui sont courtes. Si tu avais un style, un groupe de musique ou une chanson à nous conseiller :

Le livre s’appelle MUTE. Et c’est aussi un label de disque. C’est quand on éteint le son. Des fois le silence c’est bien. Cela va avec AKIZA. Sinon cela serait l’héritage rock, electro, dark, la musique industrielle, punk, post-punk. Ces grandes familles.

Si tu avais un lieu où boire un verre, où manger. Déjà venir boire un verre quand il y a un vernissage.

Oui. Il y a un lieu extraordinaire : le T.O.T.E.M. à Maxéville, une petite commune qui jouxte Nancy. C’est une communauté artiste, un squat organisé par des gens géniaux, avec un sens de l’organisation et une folie très de l’Est. Une compagnie de danse Materia Prima qui organise de grandes soirées Cabaret Rouge. Ils font un festival d’arts pluridisciplinaires (peinture, sculpture, vidéo,…) tous les deux ans, qui s’appelle « Souterrain Porte 5 » (6,7 ; le numéro change à chaque fois). Apparemment avec la nouvelle municipalité de gauche, il va y avoir moins de suivi et de soutien. Ils vivent peut-être leurs derniers mois malheureusement. Ce sont des gens pleins de ressources, qui vont sûrement rebondir sur un autre lieu. Ils sont actuellement sur une friche industrielle, un site d’anciennes brasseries. C’est un lieu extraordinaire. Nous, à la base, sommes très peu squat, utopie communautaire ou artistique, pas payer son loyer et faire de l’art. On est plutôt réticents aux démarches collectives. Je ne m’appelle pas Robinson pour rien. Je suis assez individualiste, ou d’une individualité à deux. Je ne suis pas un fervent des squats même s’il s’y passe des choses très bien paraît-il. Mais là, ça a été une sacrée rencontre : le Totem à Maxéville.

S’il y avait une chose à ne surtout pas vous faire :

Venir à la galerie. Faire des compliments, boire des verres et ne jamais rien acheter. Ça, c’est scandaleux.

Si vous aviez un voyage à faire dans le temps qui vous reste :

Un truc du nord où il fait un peu froid. L’Islande ça nous ferait bien rêver. Peut-être un voyage que l’on arrivera à se faire en amoureux un jour. Quand on pourra.

Il en reste plus que deux. Si Akiza avait quelque chose à vous dire :

Elle pourrait dire quelque chose entre « Merci Papa – Merci Maman » et « Dépêchez-vous Salopards !». Je pense que sa plus grand force est de ne rien dire.

Si tu avais une question à me poser, où tu étais assuré que je réponde et que je te dise la vérité, tu me demanderais quoi ?

(YoSHii) Quelle est ton œuvre préférée dans l’exposition ?

Oui c’est la question que je pose effectivement, qui est extrêmement révélatrice. Je le pose très souvent aux personnes qui visitent. Pour comprendre ce que les gens ressentent. Des fois je suis assez surpris. Des personnes vont rester longtemps devant une œuvre mais vont vraiment préférer quelque chose d’autre. Et ce ne sera pas évident dans leur discours, ni dans leur langage corporel. Cette question permet de rentrer en contact, de présenter l’artiste ou l’œuvre.

Là, celle qui m’intrigue et qui me pousse à plein de lectures est cette araignée. Elle me surprend. On ne sait pas si elle tisse ou si elle défait. Il y a une simplicité. Elle me rappelle peut être une araignée que j’ai croisée un jour, dans des contrées lointaines. En tout cas, c’est elle qui attire mon regard.

Étonnamment de toute cette série de dessins d’Oleksandra, ce cadre est celui que j’aime le moins. Pour ce rendu un peu fileux, un peu kitch. En la mettant en place, je me suis dit qu’elle serait la préférée de pas mal de personnes. Mais moi, c’est celle que j’aime le moins.

Pour moi, curieusement c’est celle là, ce n’est pas les autres.

Tu n’es pas la première personne à me dire que tu aimes beaucoup celle-ci.
Et pour le mot de la fin… « HAPPINESS IN AKIZA. »